Laurent Raphaël

Bande de Charlots!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

L’innovation, c’est comme les droits de l’homme dans les pays occidentaux, tout le monde est pour. Informatique, téléphonie, bagnoles, loisirs… Dans tous ces secteurs, le bonheur tient en deux lettres: R&D (pour Recherche et Développement). Une année sans une nouvelle sucette d’Apple et c’est la panique chez les geeks. Mais au fond, à quoi ça sert l’innovation? A alimenter la chaudière économique pour éviter qu’elle ne s’éteigne et que le marché du travail et de la finance ne se grippent. C’est la clé de voûte idéologique du système capitaliste. Et le fouet qui fait galoper les entreprises vers The next big thing.

Une vision du progrès chahutée plus que véritablement bousculée par les contre-feux de la consommation alternative -troc, location entre particuliers, etc. Car dans le même temps, de nouveaux mastodontes se convertissent. Comme Cuba ou la Chine, où l’idée a mis du temps à faire son chemin, mais où on a fini par croquer à pleines dents dans le fruit longtemps interdit. La créativité, singulièrement quand elle se pare de ses atours technologiques, a une autre fonction: nous simplifier la vie.

Enfin sur papier. Parce que dans les faits, ça coince légèrement. Entre la gestion de ses mails, l’animation de son profil Facebook, la punchline de son compte Twitter ou l’approvisionnement de son blog Tumblr, on a l’impression que l’homo numericus est devenu une espèce de super aiguilleur qui passe sa vie à l’organiser. Un lointain cousin du Charlot des Temps modernes (qui était déjà une critique des mirages de la modernité). Sauf qu’au lieu de courir derrière les boulons, il cavale derrière le message, le post, le tweet, le cliché Instagram qui lui maintiendra la tête hors des eaux froides de l’anonymat. Et le conduira peut-être vers l’olympe de la postérité.

C’est plus hype mais est-ce vraiment plus sain, plus stimulant, plus épanouissant? N’est-ce pas être esclave mais d’une autre façon? Il y a au minimum tromperie sur la marchandise. L’innovation n’a pas libéré les femmes des chaînes ménagères, ni les Hommes des boulots harassants (pour le corps ou l’esprit), elle a juste accéléré le temps, rendant chaque seconde plus dense, plus calorifique. Et donc plus épuisante. Face à cette tyrannie de l’immédiateté, la riposte artistique s’organise. Comme avec cette Horloge du long maintenant (copyright Brian Eno), programmée pour fonctionner 10.000 ans et dont chaque cran avancera une fois par an. Une aventure philosophique autant que scientifique racontée par Stewart Brand dans un petit livre, L’Horloge du long maintenant (Tristram), qui jette un grain de sable dans la machine à essorer le temps. Il faut lui redonner de la profondeur, plaide le penseur américain. Car bien qu’élastique, à trop tirer dessus, on va finir par en épuiser la belle mécanique…

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