Laurent Raphaël

Bête et méchant

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Certains y verront une coïncidence, d’autres une illustration d’un proverbe bien connu: l’Histoire est un éternel recommencement. Alors que sort en librairie le livre 100 images qui ont fait scandale (Hoëbeke), de Brooke Shields en Naïade aux campagnes porno chic en passant par les « cartes postales » d’Abou Ghraib, l’actu rajoute un chapitre avec la nouvelle affaire Charlie Hebdo. « Nouvelle » car le magazine satirique n’en est pas à son premier clash religieux.

En 2006 déjà, l’héritier de Hara-Kiri avait fait rire jaune une partie de la communauté musulmane en publiant les 12 caricatures controversées de Mahomet parues un mois plus tôt dans le journal danois Jyllands-Posten sous une couverture signée Cabu montrant le prophète en train de se lamenter: « C’est dur d’être aimé par des cons… » Un esprit acide peu soluble dans la foi. S’en était suivie une bataille juridique se soldant par la relaxe de Philippe Val, alors directeur de la publication. Le droit à la dérision était sauf. Mais la loi est une chose, les mentalités en sont une autre.

Dans le meilleur des mondes, on aurait pu supposer que ce jugement allait offrir une protection rapprochée à la presse convertie à l’humour noir. On n’en est loin. En consacrant un numéro baptisé Charia Hebdo à l’annonce de l’instauration de la loi coranique en Lybie et à la victoire du parti islamiste en Tunisie, le spécialiste de la provoc s’est fait incendier. Au sens figuré comme au sens propre. Le bilan est lourd: bureaux réduits en cendres, site piraté, menaces de mort… Ce n’est plus devant les tribunaux que ceux qui ne goûtent que modérément les plaisanteries du canard déchaîné ont décidé de nuire mais directement à la source. A croire qu’une loi (de la jungle) a remplacé l’autre, celle de la République.

L’honneur ayant été sali, il serait ainsi légitime de le laver par tous les moyens, les plus brutaux de préférence. Cette dérive fait froid dans le dos. Quelle sera la prochaine étape? La liquidation pure et simple des empêcheurs de prier en rond? On peut ne pas être d’accord, trouver la caricature outrancière, grossière, déplacée, irrespectueuse, reste que l’arme de la dérision est le fusible de la liberté d’expression. Si elle saute, c’est tout le système laïc qui risque de griller. Ce n’est donc pas qu’une question de principe. Les fossoyeurs de Charlie Hebdo utilisent la terreur. Y céder, ce serait accepter de se faire museler la parole. Et par ricochet la pensée. Ce qui nous renvoie à l’autre leçon de cet attentat « bête et méchant » pour paraphraser le slogan cher au professeur Choron: à une époque saturée d’images chocs, où l’on pensait être immunisé contre les crises de goutte sémantiques, le pouvoir corrosif et hautement inflammable des représentations sacrilèges reste intact. On se serait bien passé de cette nouvelle démonstration…

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