Bond a 50 ans: la totale

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

007 sort la grosse artillerie pour célébrer ses 50 ans de présence à l’écran, sous la forme d’un coffret blu-ray reprenant l’intégrale de ses aventures, assorties de quelque 130 heures de bonus. L’occasion de revenir sur une légende déclinée en six acteurs…

C’est Noël trois mois avant l’heure pour les fans de James Bond, avec la parution de Bond 50, The Complete Collection, coffret Blu-ray définitif célébrant, fort à propos, les 50 ans de présence à l’écran du héros créé, en 1953, par Ian Fleming. L’intégrale des 22 films de 007 sortis sous la bannière Eon Productions depuis 1962 et Dr No bénéficie, pour le coup, d’un transfert idéal, et se voit assortie de compléments pléthoriques: il y en a pour 130 heures et pour tous les goûts, qui vont de pièces d’archives millésimées à divers documents inédits, et composent un panorama d’ensemble de la saga virtuellement inépuisable. Des Bond Girls aux gadgets, en passant par les fondamentaux qui contribuèrent largement à définir le style Bond, tels les génériques de Maurice Binder, les décors de Ken Adam ou les musiques de John Barry, il n’est pas un aspect qui ne soit ici abordé, en mode substantiel ou anecdotique. Au-delà du pur plaisir éprouvé à redécouvrir les classiques Dr No, From Russia with Love ou On Her Majesty’s Secret Service, l’un des intérêts de l’entreprise réside dans la mise en perspective qu’elle appelle: Bond, à travers ses six interprètes successifs, a su accompagner son époque, passant des tensions de la Guerre froide aux incertitudes de l’après 11 septembre, en même temps qu’il glissait du moule classieux de Sean Connery au mode teigneux de Daniel Craig.

Séduction et dureté

Revoir Dr No 50 ans plus tard est, à cet égard, une expérience fascinante. Le film est surtout affaire, aujourd’hui, de charme vintage et un brin désuet, à quoi il ajoute néanmoins quelques morceaux d’anthologie -la vision d’Ursula Andress émergeant des flots en bikini est bien sûr l’un d’eux, au point que d’aucuns y ont vu l’incarnation de « la Vénus de Botticelli », pas moins. C’est toutefois le modèle qu’imprime Sean Connery à James Bond d’entrée de jeu qui ne laisse pas d’impressionner -un mélange de fausse nonchalance (il suffit de le voir allumer sa cigarette), de séduction et de dureté dont 007 ne se départira plus par la suite, encore que dans un ordre différent à l’occasion. Anticipant sur son époque, Connery en est déjà une icône en devenir -de quoi s’interroger rétrospectivement sur ce qu’aurait pu donner un Bond incarné par Cary Grant ou James Mason, tous deux approchés par la production qui en abandonna l’idée lorsque les deux stars déclarèrent ne pas vouloir s’engager pour plus d’un ou deux films maximum.

Avec pour principal titre de gloire Darby O’Gill & the Little People de Robert Stevenson, Connery n’était pas, pour sa part, en position d’avoir des exigences. Il sauta sur l’occasion, et n’eut certes pas à le regretter, donnant à Bond un style (façonné, de son propre aveu, par le réalisateur Terence Young) à même d’éclipser l’évidente économie de moyens de ce premier volet, tout en s’inscrivant dans la durée. On n’a, à vrai dire, jamais fait mieux depuis, postulat vérifié par la suite au gré de pépites marquées du sceau des sixties, de From Russia with Love en Goldfinger et autre Thunderball. Voire, encore qu’il y ait là matière à discussion, jusque dans les plus tardifs Diamonds Are Forever et Never Say Never Again (production indépendante non reprise ici), ce dernier voyant l’acteur écossais rempiler une dernière fois plus de dix ans après avoir tombé le costume trois pièces et le Walther PPK.

On n’en est pas encore là; et lorsque Connery annonce, en 1967, dans la foulée d’un You Only Live Twice pas franchement indispensable il est vrai, vouloir passer la main, la production se tourne à nouveau vers un quasi inconnu pour prendre la relève. A savoir George Lazenby, un mannequin australien vu auparavant dans quelques publicités, et dont la légende veut qu’il ait été remarqué par Albert Broccoli dans un salon de coiffure londonien. Lazenby avait mieux pour lui que son brushing impeccable, évoluant dans un registre viril voisin de celui de son prédécesseur. Ce qui ne l’empêcha pas de ne faire qu’un petit tour dans l’univers de Bond, avant de retomber aussi vite dans l’oubli. Mais quel tour, puisque On Her Majesty’s Secret Service reste sans conteste l’un des meilleurs films de la série, transcendé par la partition hypnotique de John Barry, et une action délestée de ses artifices et gadgets envahissants pour se resserrer autour de l’intrigue imaginée en son temps par Ian Fleming -un modèle du genre, envoyant son héros dans les Alpes suisses en compagnie de Diana Rigg, et culminant dans deux poursuites mémorables, l’une à skis et l’autre en bobsleigh.

Moore, un Bond dans son époque

Au passage, On Her Majesty’s Secret Service voyait Bond convoler, même brièvement (de quoi déclasser Lazenby en sa qualité d’agent secret?), mais aussi rompre avec l’orthodoxie vestimentaire à laquelle il s’en était peu ou prou tenu jusqu’alors. Ainsi (et après avoir adopté, avec un bonheur relatif d’ailleurs, un look japonais dans son aventure précédente) 007 y allait-il cette fois d’un kilt arboré le temps d’un épisode à l’humour tranchant avec la violence à l’£uvre -et donnant, incidemment, le la de la décennie à suivre. Avec les années 70, la franchise entre, en effet, dans une ère nouvelle: exit Sean Connery, et George Lazenby après lui; c’est au tour de Roger Moore, pressenti à de nombreuses reprises auparavant pour tenir le rôle, de revêtir les habits de 007. Sous ses traits, avantageux, un nouveau Bond voit le jour: plus lisse, moins carré, il amènera les aventures sur un terrain où l’humour et la fantaisie ont tout autant droit de cité que l’action. Soit « le ton parfait pour l’époque », de l’avis des producteurs, à qui le box-office enviable des films réalisés de Live and Let Die, en 1973, à A View to A Kill, en 1985, donne la raison commerciale si pas toujours esthétique. Incarnant à sa suite le Bond de la fin des années 80, Timothy Dalton tente de renouer avec l’amertume et la détermination caractéristique du personnage de Ian Fleming. Reste que l’acteur semble avoir du mal à vraiment trouver ses marques, un peu à l’instar d’une série qui cherche un nouveau souffle dans les derniers soubresauts de la Guerre froide -ainsi de The Living Daylights, qui l’entraîne dans un imbroglio sentimental et géopolitique quelque peu improbable, les canons stylistiques de l’époque n’arrangeant rien à l’affaire.

S’il ne suffit pas, le monde a bien changé également, et Bond marque le pas avant d’entrer dans les années 90, celles d’après la chute du Mur. Et de connaître un nouveau lifting au passage, puisqu’il prend alors les traits de Pierce Brosnan (déjà envisagé pour succéder à Roger Moore), qui lui apporte une solide dose de flegme -saupoudré, à l’occasion, de cette ironie qu’il déploiera à merveille dans The Tailor of Panama, épatante satire bondienne de John Boorman-, posée sur une élégance décontractée qui restera sa marque. Le Bond de la fin de siècle évolue toutefois dans un univers transformé: symbole de la globalisation, il fait des infidélités aux belles anglaises qui constituaient sa monture exclusive (optant pour le châssis bling bling de mécaniques allemandes), et n’est plus l’homme providentiel susceptible de dénouer des crises par sa seule présence (ou peu s’en faut), écrasé qu’il est quelque peu par un cinéma qui fait la part toujours plus belle à l’action. Dès 1997 et Tomorrow Never Dies, Jonathan Pryce peut lui balancer un cinglant: « Votre ère se termine, Bond, les satellites sont la nouvelle artillerie. » Et si Brosnan promènera encore son charme et son savoir-faire, détaché le temps de deux dernières missions, faisant basculer 007 dans le XXIe siècle, la réalité est bien là, pyrotechnique et cruelle, qui menace l’agent secret de déclassement pur et simple.

De fait, quatre ans après Die Another Day, la série effectue un virage à angle droit: Bond change une nouvelle fois de visage en 2006, se réincarnant en Daniel Craig. Et opère par ailleurs un retour aux fondamentaux -une adaptation du premier roman de Fleming, Casino Royale– pour mieux s’inscrire dans une époque qui ne l’a pas attendu, et où les héros de cinéma d’action, Jason Bourne en premier, lui taillent régulièrement des croupières. Pari réussi au-delà de toute espérance avec un Craig qui a su renouer avec la rugosité d’un Sean Connery, déclinée en version plus teigneuse, et même vicieuse, et y ajouter ce qu’il fallait de vulgarité pour faire de Bond un produit de son temps, à même d’en affronter les vicissitudes avec moins d’états que de bleus à l’âme, postulat vérifié dans Quantum of Solace et mis, d’ici quelques semaines, à l’épreuve de Skyfall, dernière aventure en date de 007…

BOND 50, THE COMPLETE COLLECTION (*****). UN COFFRET DE 23 BLU-RAY. DIST: FOX.

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