IAM: « Le FN, c’est la révolution des gens sans couilles »

IAM 2013 © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Six mois à peine après Arts Martiens, les vétérans du rap français sortent …IAM, annoncé comme l’ultime album du groupe. Le point final à une carrière légendaire? Pas si vite…

« C’est qui lui encore? C’est pas vrai! Et regarde là, on dirait… Noooon. Il paraît qu’il vient de divorcer. » Dans les mains d’un Kephren à la barbe légèrement grisonnante, l’un des derniers exemplaires du Focus. Un article a retenu en particulier l’attention des rappeurs marseillais: celui consacré aux 30 ans du hip hop français, accompagné des clichés d’époque du photographe Yoshi Omori. Ces années glorieuses, IAM y a assisté en direct, emboîtant le pas aux premiers pionniers (l’embryon Lively Crew dès 1984). Quand le rap en français dans le texte s’imposera une bonne fois pour toutes au début des nineties, ils seront là, trustant le haut de l’affiche, aux côtés des NTM, MC Solaar, Assassin… Il y aura le tube intergénérationnel (Je danse le mia, clippé par Michel Gondry), et les albums –Ombre est lumière et l’insubmersible Ecole du micro d’argent– devenus entre-temps des classiques.

Ouvriers ultra qualifiés

Aujourd’hui, le genre a définitivement quitté la marge, sinon médiatiquement, du moins dans les classements: voir les 700.000 albums vendus par les superstars Sexion d’Assaut, meilleur score 2012. Cette année, IAM a sorti lui Arts martiens qui, s’il n’a pas atteint les mêmes stratosphères, a quand même dépassé les 100.000 albums écoulés. « Un disque de platine en fait. » Pas mal pour un groupe que beaucoup pensaient perdu pour la cause. Ou en tout cas peinant à maintenir l’intérêt auprès des plus jeunes. Arts martiens était donc une bonne surprise. En septembre dernier, le groupe s’est même produit pour la première fois de sa carrière sur la scène d’Urban Peace, le méga festival hip hop organisé au Stade de France.

IAM, reparti pour 10 ans? La réponse est à lire en pointillés. Ceux que le groupe a utilisés pour le titre de la suite d’Arts Martiens, parue ces jours-ci. Sur la pochette, un sticker a été apposé par la maison de disques: « Nouvel et dernier album. » Ah bon? Cela sent bien un peu le coup de bluff, le plan marketing pour faire du bruit autour de la sortie. Ce qui serait de bonne guerre. Après tout, contrairement à de nombreux collègues, les Marseillais n’ont jamais joué le jeu de la provoc’ pour faire vendre: pourquoi se priver alors d’une petite dramatisation finalement pas bien méchante, misant sur l’éventualité que s’arrête ici la carrière d’un des plus grands groupes français de ces 30 dernières années, tous genres confondus? Le hic: les rappeurs phocéens sont les premiers à… démonter l’emballement. Ou du moins à le relativiser. Non, IAM ne se sépare pas. « Par contre, explique Akhenaton, c’est bien le dernier album prévu dans notre contrat avec Def Jam/Universal. Aujourd’hui, pour être tout à fait clair et honnête, nous sommes incapables de dire si on en resignera un autre derrière. Nous sommes chers pour l’industrie du disque: on a des royalties élevées, 25 ans de carrière… Elle préfère signer des jeunes artistes en leur filant des cacahouètes. C’est un mouvement général. Finalement, ce n’est pas différent dans le monde de l’entreprise: l’ouvrier ultra qualifié qui a 30 ans de boîte est mis sur le côté pour engager un jeune que l’on doit payer moins cher… »

Si la situation de l’industrie musicale s’est quelque peu stabilisée ces derniers mois, les temps restent compliqués. Pour la sortie d’Arts Martiens, au printemps, la branche belge d’Universal n’avait par exemple pas jugé utile d’organiser une journée promo –« Parce que payer une nuit d’hôtel et cinq tickets de train coûte visiblement trop cher, on en est là. » Avec …IAM, elle a profité du passage du groupe au récent Festival des libertés, à Bruxelles, pour y glisser quelques interviews et une conférence de presse. C’est un peu le paradoxe actuel d’IAM: même avec un disque qui se vend bien, des piliers du rap français ne sont plus certains de trouver un nouveau deal… « On ne jette pas la pierre. C’est un système. On a suffisamment combattu les maisons de disque pour savoir comment cela se passe. Les années passent, les gens changent, mais au final on est toujours là. »

Sous ses airs un peu bougon, DJ Kheops explique tout de même: « Je vais vous avouer un truc: en fait, cet album, présenté comme le dernier, n’aurait même jamais dû exister. On aurait dû en rester à Arts Martiens, qui clôturait notre contrat. Mais on avait accumulé beaucoup de morceaux, et comme il a bien marché, Def Jam a fini par donner son accord pour faire ce qu’on voulait faire, c’est-à-dire ce 2e volet. » Akhenaton confirme et détaille même: « Sur Arts Martiens, il y a ce morceau de sept minutes, Sombres manoeuvres/Manoeuvres sombres. En fait, au départ, il était scindé en deux, le but étant de mettre une partie sur chaque album. Mais on a un peu paniqué. Si le premier disque ne fonctionnait pas, Manoeuvres sombres risquait de ne jamais sortir! Du coup, on a préféré livrer le tout en une seule fois, sur l’album précédent. Comme quoi, le groupe peut avoir des peurs et des craintes. Ce qui est sain! Ça maintient les pieds sur terre… »

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La révolution des gens sans couilles

La suite pour IAM? A court terme, c’est une tournée qui les occupera pendant toute l’année prochaine. Après, c’est le flou… « Tout est possible, explique Akhenaton. Si l’on nous re-propose un deal à des conditions décentes, la question sera réglée. Dans le cas contraire? Je ne nous vois pas nous lancer en indépendants. A 20 ans, tu peux avoir envie de cela. Mais on n’en est plus là. Pour mes projets solos, je travaille déjà en indé, depuis 2002. Et j’en bave… Donc voilà, à un moment, on vous propose une petite porte et une grande porte. Quand les indices s’accumulent, tu préfères choisir la grande porte. Cela ne veut pas dire qu’IAM se dissout ou même s’arrête -quelque part, on n’a jamais été aussi unis qu’aujourd’hui. Mais cela se passera ailleurs, sur la scène, ou sur d’autres projets annexes, comme des musiques de film… »

Vu comme cela, c’est un peu comme si ça avait été plus simple de sortir des disques rap quand il n’y avait encore rien, que tout était encore à construire, qu’aujourd’hui où le genre est devenu incontournable dans le biz musical… « Disons qu’on a parfois l’impression que la capacité à réussir ne repose plus uniquement sur l’art. Il y a tout le travail de l’image, la com’, le marketing… On n’est pas nés avec ça, ce sont des choses qu’on sait moyennement faire. Nous, on produit de bons morceaux ou de mauvais morceaux. C’est la seule chose qui compte dans nos têtes. Aujourd’hui, les jeunes ont été biberonnés à la téléréalité, ils calibrent davantage leurs titres, pensent à leur public, essayent de mettre un visage sur les gens qui vont écouter les disques. C’est une tendance générale, cela ne vaut pas que pour le rap. »

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Une question de génération, vraiment? Certes, IAM fait partie des anciens du rap français. Ses membres sont tous nés entre 1960 (Imhotep) et 1968: pas de quoi faire rêver les gamins branchés sur Skyrock ou Fun, et dont ils pourraient largement être les paternels. De son côté, le hip hop américain ne se pose pourtant pas autant de questions: Jay-Z, par exemple, trône toujours au sommet du rap game, âgé de 43 ans, à peine un an plus jeune qu’Akhenaton… Ce n’est pas non plus vraiment une question d’image. Au contraire, IAM a été l’une des premières formations à mettre au point tout un imaginaire autour de la musique, nourri notamment aux références orientales et antiques (l’Egypte).

Comme Arts Martiens, …IAM n’arrive pas à la cheville des classiques du groupe. Les deux disques n’ont cependant rien d’indignes. Mieux: dans un rap français régulièrement plombé par les clash et les roulages de mécaniques bas de plafond, les plumes d’Akhenaton et Shurik’n semblent plus indispensables que jamais. Leur planète Marseille brûle, du moins dans les médias, mais eux brillent toujours. Sans démagogie, pointant la merde d’en bas, dénonçant les scandales d’en haut. Dans Géométrie de l’ennui, par exemple, « on se fait pas d’illusion/On flirte avec la bordure/Dur de marcher droit dans un pays tordu ».

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En toute fin, comme une sorte de pied de nez, IAM achève son « ultime » sortie discographique avec un morceau intitulé… Renaissance. « La vie semble si simple/Tant se la compliquent/Se confinent/Noyés dans des conflits », rappe Akhenaton, qui continue encore plus loin: « On s’lève le matin, on voit qu’on vit en marge/Parce qu’on a choisi d’aimer plutôt que haïr. » En 2013, la France est un pays au bord de l’implosion, rongé par la déprime et la colère. Impossible pour IAM de passer à côté, comme de ne pas voir Marine Le Pen s’installer au centre de la vie politique hexagonale. « On parle de nos colères, de la manière dont l’information est traitée, dont la peur est distillée. Il ne faut pas s’étonner que le Front National enchaîne les bons scores. Quand tu allumes la TNT, c’est plus des chaînes de télés, c’est des commissariats! Un truc de fous. Le FN, un parti xénophobe et raciste, atteint 30% dans des petits villages où il n’y a pas une seule cité, pas le moindre immigré! Ce qui est troublant, c’est que les gens savent pour qui ils votent. C’est une démarche égoïste, une démarche moderne: moi, moi, moi… Ils ne descendent plus dans la rue pour manifester, ils comptent sur le FN pour faire la révolution à leur place. En fait, le FN, c’est la révolution des gens sans couilles. » Word…

Discographie express

…De la planète Mars (1991)

IAM:

1991: à la capitale, le Supreme NTM sort l’inaugural Authentik. La cité phocéenne embraie avec …De la planète Mars. Tous les éléments qui feront l’identité du groupe sont déjà là: au-delà de la matrice US, la fierté des racines méditerranéennes (Do the Raï Thing), les références égyptiennes (Pharaon revient)… Le flow est parfois encore approximatif et Akhenaton s’échine encore à rendre sa voix plus grave et crâneuse qu’elle ne l’est. N’empêche: à plus de 20 ans de distance, le premier IAM garde un vrai charme vintage.

Ombre est lumière (1993)

IAM:

Deux ans à peine après le succès de son premier disque, IAM enchaîne et franchit une nouvelle étape. Ombre est lumière sort sous la forme d’un double album, premier indice de l’envergure qu’a désormais pris le groupe. Musicalement, le groove se fait plus précis, plus complexe et raffiné aussi. Au micro, le ton y est plus posé, avec encore quelques naïvetés (J’aurais pu croire), mais aussi un sens du storytelling affiné. Humour et second degré compris: c’est sur Ombre est lumière que se trouve Je danse le mia, le plus gros tube des Marseillais.

L’Ecole du micro d’argent (1997)

IAM:

Le chef-d’oeuvre d’IAM. Dès l’entame, Shurik’n et Akhenaton partent au combat, filant la métaphore et l’allégorie avec un talent inédit. Le succès du mia a laissé des traces: les Marseillais sont bien décidés à dissiper tout doute éventuel sur l’intégrité de leur démarche. Le propos se fait d’ailleurs plus engagé. Les morceaux de bravoure se succèdent: Nés sous la même étoile, L’empire du côté obscur, La Saga, Petit Frère… et surtout Demain, c’est loin, épopée de neuf minutes souvent considérée comme le meilleur morceau de l’Histoire du rap français.

Arts martiens/… IAM (2013)

IAM:

Après le triomphe de L’Ecole du micro d’argent (1,6 million d’exemplaires vendus), IAM a cédé petit à petit du terrain, la plupart des membres s’essayant notamment à des carrières solo. Après un sombre Revoir au printemps (2003) et un inégal Saison 5, les pionniers marseillais ont toutefois prouvé qu’il fallait encore compter sur eux, sortant pas moins de deux albums en moins d’un an. Sans retrouver le tranchant des années 90, IAM y maintient la flamme, inspiré, rappelant que le hip hop pouvait amener un regard qui porte plus loin que le bout de la casquette.

  • IAM, …IAM, DISTR. DEF JAM/UNIVERSAL.

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