Ans Persoons

« Nos fresques BD mériteraient aussi une polémique »

Ans Persoons Échevine (sp.a) à la ville de Bruxelles

Suite à la polémique à Angoulême, l’échevine bruxelloise en charge du parcours BD, Ans Persoons, s’interroge sur la représentation des auteures dans le parcours BD. Ainsi, parmi les plus de 50 fresques qui habillent les murs de la ville, aucun dessin ne porte le nom d’une femme. Voici sa carte blanche.

Chaque année, professionnels, amateurs et passionnés du neuvième art se rencontrent à Angoulême au cours du Festival International de la Bande Dessinée. Chaque année, le festival n’échappe pas aux polémiques, futiles pour la plupart, servant dès lors de vitrine pour ce dernier. Cette année donc, Angoulême a eu sa polémique. Trente auteurs de BD avaient été nominés pour le Grand Prix. Trente nominés et trente hommes… Cette fois, la polémique du festival était tout à fait légitime.

Pourquoi est-ce si scandaleux? Pour reprendre les mots du président canadien: parce qu’on est en 2016. Le monde de la bande dessinée a beau avoir été longtemps un bastion essentiellement masculin, il compte désormais en son sein de brillantes auteures. Et elles n’appartiennent certainement pas à la catégorie des « talents émergents », beaucoup d’entre elles figurent parmi les « talents confirmés ».

Les créatrices françaises de bande dessinée, contrariées, ont aussitôt réagi suite à l’annonce de cette sélection 100% masculine. Des accusations qui seraient passées pour d’habituelles revendications féministes si quelques hommes nominés n’avaient pas manifesté à leur tour sur les réseaux sociaux leur indignation et ne s’étaient retirés de la compétition. À ce moment seulement, les médias se sont emparés de cette histoire, dont on connait la suite. La polémique s’est rapidement calmée, quelques femmes ont été rajoutées à la liste, et finalement, c’est un homme qui a remporté le prix – le Bruxellois Hermann. Depuis la création du festival en 1976, le Grand Prix a été décerné une seule fois à une femme – Florence Cestac, en 2000 (ndlr: Claire Bretécher a toutefois aussi reçu le Grand Prix Spécial 10e anniversaire en 1983).

Bruxelles est détentrice d’une longue et riche tradition de la bande dessinée, mais il est important qu’elle trouve une correspondance avec le monde actuel de la bande dessinée. C’est pourquoi, la semaine passée, je me suis rendue quelques jours à Angoulême, en tant qu’échevine compétente pour les fresques BD. Nous sommes allées voir comment la direction de la ville y développe son parcours de fresques, comment elle soutient le secteur de l’animation, comment la ville se place en tant que « ville de l’image », indépendamment du festival. Nous avons rencontré des auteurs, des experts, et avons cherché de l’inspiration pour de nouvelles fresques BD.

Qu’en est-il de la repru0026#xE9;sentation des auteures dans le parcours BD bruxellois? Parmi les plus de 50 fresques qui habillent les murs de la ville, aucun dessin ne porte le nom d’une femme.

La polémique suscitée au festival d’Angoulême nous a amenées à réfléchir. Qu’en est-il vraiment de la représentation des auteures dans notre parcours BD? Nous avons compté et le résultat est plutôt invraisemblable: plus de 50 fresques BD habillent les murs de la Ville de Bruxelles, mais aucun dessin ne porte le nom d’une femme. Vous avez bien lu: aucun, zéro. Cela n’a jamais été un choix conscient, mais ce constat est bien éloquent de la façon dont les hommes sont systématiquement préférés sans jamais de remise en question. C’est un modèle récurrent dans plusieurs secteurs: les gatekeepers (ici: les éditeurs, jurys, rédacteurs) sont des hommes, et écartent les femmes, non pas nécessairement de manière consciente, mais parce que les hommes pensent plus facilement à des hommes. Dans l’art également on retrouve des variantes de ce réseau ‘old boys’.

Un autre constat frappant: les personnages du Parcours BD de Bruxelles sont malicieux, courageux, forts, intelligents, mais presque tous sont des figures masculines. Les personnages féminins servent pour la plupart à nourrir le stéréotype de la femme voluptueuse qui accompagne le héros intrépide.

(La fresque du Rainbow House située rue de la Chaufferette est une belle exception, mais relève d’un thème spécifique sur la diversité des genres et n’entrait pas initialement dans le Parcours BD classique.)

Ce n’est pas parce que le monde de la BD a longtemps été réservée aux hommes, et que de nombreux héros de la bande dessinée belge classique sont masculins (cela vaut aussi pour les super-héros dans les comics américains), que nous devons nous limiter à ce schéma. Les temps changent. Les personnages belges les plus célèbres – à l’exception des Schtroumpfs, mais ceux-ci débarqueront bientôt – ont déjà tous une place dans notre parcours. Nous voulons à présent laisser entrer une nouvelle génération d’auteurs, qui ne se définissent pas à travers leurs personnages, mais bien à travers leur style graphique – on parle ici de ‘BD d’auteurs’. Dorénavant, nous voulons évoluer, des murs dont le personnage est célèbre, vers des murs dont c’est surtout l’auteur qui laissera une empreinte. Nous avons en Belgique des auteurs reconnus aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Ils méritent un mur à Bruxelles. Parmi ceux-là, on retrouve alors de nombreuses femmes, pensez seulement à Judith Vanistendael, Ilah ou Dominique Goblet.

Chaque année, la Ville de Bruxelles réalise trois fresques BD. Dorénavant, je proposerai par an au moins un dessin d’une auteure. Cela va sans doute susciter quelques réactions négatives: « la qualité du Parcours BD en pâtira », « il n’y a pas assez de femmes auteures »… Les arguments classiques, qui surviennent également lorsqu’il est question de quota dans les conseils d’administration ou sur les listes électorales. Je suis convaincue du contraire. En politique et dans les conseils d’administration, le quota apparaît comme nécessaire pour rompre avec un mécanisme bien rouillé et donner une chance aux femmes qui, en réalité, ne servent absolument pas à répondre à un quota, mais apportent véritablement une valeur ajoutée. Évidemment, beaucoup d' »hommes blancs » sont de très bons auteurs de BD, mais ils ne peuvent être le seul reflet de nos murs bruxellois. En ouvrant le parcours à une nouvelle génération d’auteurs contemporains, nous voulons plus de diversité, et finalement considérer aussi les créatrices de bande dessinée. Cela mènera à plus de variations non seulement dans les styles de dessin, mais également dans le type de femme représentée dans ces dessins. Et donc, à un Parcours BD bruxellois plus riche et de meilleure qualité.

Ans Persoons

Échevine en charge des Contrats de quartier, de la Participation, des Affaires néerlandophones et du Parcours BD de la Ville de Bruxelles

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