Laurent Raphaël

Complètement déjanté

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Par Laurent RAPHAËL

C’est fou ce qu’on peut faire avec un pneu. Aller à la côte en lui faisant brouter l’E40 par exemple. Ou animer un piquet de grève en y boutant le feu. Grâce à Quentin Dupieux, premier réalisateur situationniste de l’Hexagone, on sait maintenant qu’on peut aussi s’en servir comme arme. Mieux même, comme serial killer.

Dans Rubber, son troisième long métrage après Nonfilm et Steak, deux films qui mordaient déjà méchamment sur la bande d’urgence du non sense gore, celui qui s’est d’abord fait un nom sur la scène électro (Mr Oizo, c’est lui) épouse la trajectoire sanglante d’un pneu télépathe et tueur en série. Un scénario gonflé qui garantit à peu près à coup sûr que cette drôle de bobine ne taillera pas sa route en Belgique. Faudra donc attendre le DVD.

Dommage parce que la presse française a démarré au quart de tour avec cette histoire loufoque au carrefour du western spaghetti, du road movie seventies, du medley Romero et du pavé dans la mare intello façon Guy Debord dans La société du spectacle. Le pitch fait en tout cas remonter à la surface quelques vieilles terreurs mal cicatrisées.

L’histoire du cinéma d’horreur pourrait d’ailleurs être réécrite au fil (tranchant) de ces objets banals qui se transforment subitement en instruments de torture. Dans le genre, The Lift (1983) était pas mal. Un ascenseur fou y sévissait à tous les étages. Difficile ensuite de monter dans la nacelle sans se signer. Dans le genre machine infernale, la Christine de John Carpenter (1983 aussi) valait déjà son pesant de frissons huileux. Depuis, dès qu’on aperçoit une Plymouth Fury sur le bitume (heureusement ce n’est pas tous les jours), on change de file. La liste est longue de ces dérapages conceptuels. Non limités au secteur non-food d’ailleurs. La preuve, cette Attaque de la moussaka géante (1999) qui, foi d’un amateur gastronome de cinéma de genre, ne restait pas sur l’estomac malgré son titre « nerdique ».

Cette capacité à prêter une vie autonome à tout et n’importe quoi en dit long sur la crainte que nous inspirent nos propres déviances. Car qu’est-ce qui est flippant dans ces films sinon que des ustensiles à priori inoffensifs épousent nos pires comportements? Ils nous confrontent à nous-mêmes. Ou plutôt au double fantasmé et peu reluisant de nous-mêmes.

De là à se prendre à rêver de nouveaux avatars, il n’y a qu’un pas cathartique. Que nous franchissons en faisant crisser les pneus. Pourquoi pas un briquet qui n’en ferait qu’à sa guise, carbonisant tout ce qui passe à portée de sa flamme? Ou une cravate pratiquant la suffocation sans prévenir et maquillant ensuite ses crimes en suicides. Ou encore une rame de métro fantôme et sanguinaire sévissant sur le réseau de la Stib… Phobies garanties. Restons-en là, on sent que ça part en… roue libre.

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