Y a-t-il un psychopathe dans la salle?

Jack Torrance (The Shining) n'est pas considéré comme un psychopathe crédible, d'après l'étude. © DR
Elisabeth Debourse Journaliste

Les vrais psychopathes ne boivent pas de chianti en se délectant d’une fricassée de cervelle et n’ont pas d’obsessions hitchcockiennes pour les douches, soyez-en rassurés. Mais le cinéma a-t-il tout faux lorsqu’il crée ses dérangés? D’Anton Chigurh à Travis Bickle, une étude fait le point.

400 films et le double d’heures de terreur, c’est ce que des psychiatres et critiques de cinéma ont dû visionner pour collecter autant d’informations que possible sur les psychopathes de l’histoire du septième art. Le but? Analyser la crédibilité de ces tueurs de fiction et investiguer par la même occasion la relation entre cinéma et psychiatrie, sur une période courant de The Birth of a Nation en 1915 à The Lovely Bones, sorti en 2010.

Parmi cet asile cinématographique, 274 psychopathes ont été éliminés de l’étude, jugés trop caricaturaux ou irréalistes. Voldemort, le Joker et Samara peuvent donc aller se rhabiller (et rendre par la même occasion leur camisole de force). Les 105 hommes et 21 femmes restant ont été soigneusement diagnostiqués; Alex DeLarge de A Clockwork Orange serait un cas classique/idiopathique, le Colonel Walter E. Kurtz d’Apocalypse Now de type manipulateur, le John Doe de Seven un pseudopsychopathe et le Sheriff de Notthingham relèverait d’un cas de psychopathie macho.

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Voisin, tueur à gage et as de la finance

Pour le Docteur Leistedt (ULB et Umons) et le Professeur Linkowski (ULB), les auteurs de l’étude intitulée Psychopathie et cinéma: fait ou fiction?, « les psychopathes de fiction réalistes existent, mais sont une minorité ». Qu’ils soient étiquetés manipulateurs, comme l’élégante mais non moins sauvage Catherine Tramell dans Basic Instinct, pseudopsychopathes ou encore macho à la Al Capone, ils tombent bien souvent dans le piège de l’exagération. Les vrais psychopathes ne sont pas forcément (et jamais tout à la fois) sadiques, imprévisibles, sexuellement dépravés, violents et ont vraiment très rarement un sourire aussi carnassier que celui d’Hannibal Lecter.

Georges Harvey, interprété par Stanley Tucci, dans The Lovey Bones
Georges Harvey, interprété par Stanley Tucci, dans The Lovey Bones© DR

Moins spectaculaire mais d’autant plus effrayant, le vrai dérangé, c’est celui à qui vous pourriez prêter votre perceuse ou qui vous remet votre courrier. George Harvey, le prédateur si banal de The Lovely Bones est selon les chercheurs « un parfait psychopathe ». Dans un autre registre, le tueur au fusil à air comprimé de No Country for Old Men, interprété par Javier Bardem, est tout aussi crédible. Aucun remord, un sang-froid et une détermination à toute épreuve, une incapacité à se remettre en question et un manque total d’empathie: voilà le portrait glaçant d’Anton Chigurh, personnage qui aurait beaucoup de points communs avec Richard Kuklinski, un ex-tueur à gage américain de la mafia.

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Le personnage de Gordon Gekko dans Wall Street (1987), interprété par Michael Douglas, a lui aussi beaucoup impressionné les deux psychiatres. L’homme d’affaire sans foi ni loi, dont le Loup de Scorsese pourrait être le digne successeur, est l’archétype même du « psychopathe de succès ». Le monde de la finance et de l’entreprise serait d’ailleurs particulièrement prolifique, en termes de dérangés, d’après un article de Clive R. Boddy, professeur à l’université de Nottingham. Avoir du sang-froid, pas trop d’empathie et être calculateur, telles sont les qualités requises pour travailler dans le monde impitoyable de la finance. Presque autant que pour plonger dans la psychopathie.

Cinéma et psychiatrie: une histoire étroitement liée

De plus en plus de personnalités complexes et sombres liées à ce genre de métier sont exploitées avec succès au cinéma et dans les séries. Pour preuve, Don Draper, le mad man interprété par Jon Hamm et toute sa clique de publicitaires scotchent depuis 6 saisons les téléspectateurs à leur poste. Le Dr Leistedt et le Pr Linkowski y voient un « parallèle évident entre ce qui se passe dans notre société et ce qui se passe dans les films ». L’évolution des personnalités des vilains du cinéma semble en effet suivre les frasques sanguinaires des psychopathes de l’histoire.

Jusqu’à la fin des années 50, le psychopathe était relégué dans les films au rang de gangster mafieux, de scientifique fou, de super-méchant et autres criminels que l’on croiserait assez peu probablement au supermarché ou au bowling. L’homosexualité a même été catégorisée de comportement psychopathique dans They Only Kill Their Masters (1972), c’est dire le peu d’ouverture d’esprit et de compréhension de la psychiatrie qu’avait l’industrie du cinéma à l’époque. L’une des rares exceptions avant les sixties d’un psychopathe réaliste sur grand écran est Hans Beckert, l’assassin d’enfants du film M le maudit, de Fritz Lang.

Par la suite, les dérangés du cinéma prennent des chemins différents: il y a les inadaptés sociaux, à la Norman Bates de Psycho, dont les motivations à assassiner sont généralement sexuelles et les tueurs gores, masqués et ultra-violents qui générent les sagas sanglantes telles que Friday the 13th ou The Texas Chainsaw Massacre. Psychopathes masqués, adolescents sacrifiés de manière spectaculaire et hémoglobine à gogo au service d’un genre à part, extrêmement rentable, celui des « slasher movies ». Ce sont les frasques de vrais psychopathes des années 60 et 70 qui influencent cette nouvelle description du meurtrier fou au cinéma.

A Nightmare on Elm Street (Les Griffes de la nuit), un slasher movie par excellence.
A Nightmare on Elm Street (Les Griffes de la nuit), un slasher movie par excellence.© DR

La décennie suivante et son lot de serial killers hautement médiatisés permet une meilleure description et compréhension de ce qu’est une personnalité psychopathique, popularisant le psychopathe d’élite, qui devient le préféré d’Hollywood. Le psychiatre cannibale de The Silence of the Lambs, incarné par Anthony Hopkins, en est l’avatar le plus célèbre. Ses traits de personnalité – son maniérisme, son habileté et ingéniosité à tuer, son autorité et son intelligence – ne sont en fait pas présents chez la plupart des psychopathes.

Du cinéma à l’université

Les personnages de fiction, véritables croque-mitaines pour adultes, ont beau exagérer le réel, certains psychopathes du grand écran sont tellement crédibles qu’ils pourraient passer pour de vrais cas d’école. Le cinéma permet en effet de voir et d’expérimenter  » en direct  » ce qui ne peut être observé dans la réalité. Les vrais tueurs laissent des scènes de crime, les acteurs une prestation glaçante, mais instructive. Des personnages comme Anton Chigurh ou George Harvey peuvent dès lors servir de matériel pédagogique pour les étudiants en psychiatrie. La performance de Jack Nicholson dans Shining continuera donc à se regarder uniquement pour le plaisir de frissonner.

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