Atar Gull: la revanche des esclaves

Avec Atar Gull, le dessinateur Brüno fait de l’ombre à Sfar: il s’attaque lui aussi au thème de l’esclavagisme en brisant les chaînes d’un genre qui refait surface.

ATAR GULL, DE NURY ET BRÜNO, ÉDITIONS DARGAUD. ****

Au vu du pitch de l’album, on pouvait craindre une certaine banalité si on est allergique aux récits historiques, réalistes et littéraires qui pullulent en BD et en particulier lorsqu’on y parle d’esclavage: une adaptation en 80 planches d’un roman d’Eugene Sue, narrant « le destin d’un esclave modèle » depuis sa capture dans sa tribu des Namaquas jusqu’à sa fin, à Nantes (et plus Paris comme dans le roman)… On pouvait ne rien en attendre de révolutionnaire, et pourtant: à l’image de Joann Sfar, qui vient de s’attaquer au genre avec sa nouvelle série, Les Lumières de la France, Brüno et son scénariste Fabien Nury explosent à leur tour les codes graphiques sur un sujet, l’esclavagisme et la traite négrière, qui revient par ailleurs à l’avant-plan chez les libraires (jusqu’au nouveau Craig Thompson, Habibi, paru chez Casterman Ecritures). Dans Atar Gull, les phrases terribles d’Eugene Sue sont remplacées par une économie des mots. Et contrairement aux lois du genre, il suffit à Brüno d’un point noir ou d’un trait rond pour dessiner des yeux et créer une tension. Même ses explosions et ses combats se font dans le silence, là où les autres multiplient fracas et onomatopées.

« Si je dois citer des références, se justifie presque le jeune auteur, il y a évidemment l’école franco-belge classique des albums de mon enfance, mais aussi l’expressionnisme graphique des Munoz ou Brescia. J’aime m’imaginer entre les 2, à chercher le mix entre ces 2 géants. Il y a chez les Peyo, Jijé, Morris, tous ces classiques, une virtuosité cachée que j’admire énormément. Il ne s’agit jamais d’en mettre plein la gueule. La narration, l’efficacité, ont toujours plus d’importance que la virtuosité. C’est une richesse que l’on découvre en les relisant. »

Esclavagisme d’hier et d’aujourd’hui

« Je suis arrivé sur ce projet presque par hasard, explique Brüno. Fabien avait 2 projets dans ses cartons, dont cette transposition d’un roman d’Eugene Sue, peu connu. Et il m’a tout de suite emballé: je suis de Nantes, ville négrière par excellence… En plus, Sue ne se contente pas d’une dénonciation, c’est un récit de vengeance, un pamphlet anti-paternaliste où tous les personnages ont leur part d’ombre, où ceux qui portent les masques les plus rassurants ne sont pas les moins ignobles. » Une ambiguïté déjà neuve, et prenant toute sa mesure dans les cases du dessinateur: « Nous avons eu avec Fabien une approche très cinéphile du récit, basé sur la mise en scène, la dramaturgie. Fabien a fait un boulot formidable. Et c’est toujours ce qui me motive dans un projet: la bonne histoire, peu importe son contexte. Je ne me mets pas trop de limites, je suis assez candide. Si j’aime l’histoire, je fonce. » Quant à ce regain d’intérêt pour l’Histoire et les histoires de la traite négrière, Brüno ose une explication: « Nous traversons une période très trouble, avec une crise sociale sans précédent. Peut-être que l’esclavagisme traditionnel résonne comme un écho à un certain esclavagisme moderne. Les gens ne se sentent plus maîtres de leur destin… »

Rencontre Olivier Van Vaerenbergh

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