Laurent Raphaël

Du contenu et du contenant en culture

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Par Laurent RAPHAËL

Ça n’aura pas échappé à votre hémisphère gauche: la dernière livrée du magazine Focus est 100 % old school. Son habillage tout droit sorti des ateliers Marvel et DC Comics fleure bon les fifties, et sa haute teneur en objets libidineux ravive des envies coupables et indécentes de consommation frénétique typique des Trente Glorieuses.

A l’heure de la musique dématérialisée, des jeux vidéo « mains libres », du cinéma à la demande et des petits plaisirs cybernétiques en tout genre, l’étalage de produits manufacturés à l’huile de coude ou de machine fait furieusement rétro. Sans compter qu’il se trouvera bien dans l’assistance l’un ou l’autre chevalier du développement durable prêt à dégainer sa lame pour nous faire passer l’envie de cirer les pompes (à fric) du Père Noël…

Mais on ne se refait pas. Le journaliste culturel est un fétichiste qui ne s’ignore pas. Sourcilleux sur la marchandise (faut pas croire, l’éthique n’est pas soluble dans l’emballage), il redevient l’enfant découvrant le train électrique ou la boîte de Playmobil au pied du sapin quand il voit passer le coffret, le beau livre ou le box qui concentre tous ses désirs du moment ou de toujours.

Au risque de faire de la psychanalyse de comptoir, on ne nous enlèvera pas l’idée que l’objet, à fortiori quand il revêt ses habits collector, est à la culture ce que les préliminaires sont au sexe: une mise en bouche, un échauffement, un avant-goût. Par sa simple présence physique, il fixe en outre dans le temps et l’espace nos expériences, leur assurant ainsi une forme d’éternité.

A l’opposé donc de la dématérialisation à tout-va qui pourrait bien finir en amnésie générale. On confie l’archivage de nos existences à des disques durs et à des serveurs anonymes. Pas très sexy. Et surtout très risqué. Une panne électrique majeure, un virus glouton et c’est le trou noir… La pierre raconte l’histoire des hommes. Les objets fétiches racontent celle des individus. En se baladant dans la bibliothèque de l’amateur de livres ou dans la discothèque du mélomane, on voit défiler sa vie. Chaque pièce est comptable de ses marottes, obsessions, déviances, comme la glace l’est de la qualité de l’air. En poussant le bouchon de champagne un peu plus loin, on pourrait même affirmer que dans le brouillard numérique actuel, adorer ces bibelots encombrants s’apparente à une forme de résistance à la tyrannie de l’instantané, de l’évanescent, de l’éphémère, du minimalisme. Le retour en grâce du vinyle, y compris chez les plus jeunes, traduit d’ailleurs ce besoin de sensualité tactile et visuelle.

Alors oui, le numéro spécial cadeaux de Focus participe à cette surenchère de saison qui file la nausée, mais il le fait, on l’espère, avec goût, et en prenant soin de séparer le bon grain artistique de l’ivraie des box attrape-nigauds. Inutile donc de bouder votre plaisir ni celui de vos proches…

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