Serge Coosemans

Dans le monde, il y a des saucisses…

Serge Coosemans Chroniqueur

Back in London, Serge Coosemans y a croisé le grand écart entre Ladytron et Elmer Food Beat, plein de connards de Parisiens, des playmobils déguisés en Pete Doherty et le sosie britannique de Dop Saucisse. Road exit, S02E15.

C’est très amusant de se retrouver au Old Blue Last, sur Great Eastern Street, alors que Vice traverse probablement la crise la plus débile de sa très rentable, souvent fun et malgré tout plutôt lamentable histoire. Ce pub appartient aux éditeurs du magazine et c’est bien pourquoi on se gondole doublement au comptoir en s’y entendant raconter que parti interviewer le très fantasque John McAfee, créateur de l’antivirus du même nom planqué dans un pays indéterminé suite à une sombre affaire de meurtre, le journaliste de Vice a cru très malin de publier sur le web une photographie du bonhomme et de ses gardes du corps… en oubliant totalement de désactiver la géolocalisation de son appareil! Bref, ce qui devait être à l’origine un papier à l’arrache, sensationnel et couillu, s’est très vite transformé en epic fail générant la risée des geeks, des journalistes, des flics, des barbouzes et de n’importe qui d’autre ayant un jour eu du mal à encaisser l’incroyable arrogance des pseudo-journaleux de Vice, véritables experts dans l’art de (se) griller des sujets en or. À moins que McAfee n’utilise sa fortune et ses réseaux pour en bombarder les bureaux, le torchon survivra sans doute à cette énième funeste mésaventure. Quand on entre au Old Blue Last, on s’en fait d’autant moins pour eux qu’il est très évident que ces mecs auront toujours le loisir de se recycler dans l’horeca en cas de gros pépin.

Situé à Shoreditch, dans ce coin le plus joyeusement canaille de l’East End, la taverne a vraiment de la gueule; le genre de cachet, de décor et de tenue à côté desquels les concepts à la Frédéric Nicolay ressemblent à des cafétérias d’hippodromes. Il y a du travail de taxidermistes aux murs, des tronches de gibier kittées qui font sourire, des chesterfields, une lumière ni trop crue, ni vraiment tamisée, assez parfaite. Comme dans la plupart des autres bars du coin, le samedi soir, c’est blindé. Touristes, crapules, internationale hipster, kékés londoniens, on y remarque surtout beaucoup de femmes au fond de teint diaphane, qui se préparent visiblement les sorties du week-end avec une photographie de Katy Perry à côté du miroir. Le ravalement de façade est souvent assez réussi, salace et sexy, mais chez certaines, cela donne plutôt un look à la Amy Crackhouse. Car on a beau être fouillés à l’entrée, il est évident que tout le monde ne carbure pas qu’à l’eau ferrugineuse.

À l’étage, il y a une salle, pas plus grande qu’un appartement, décorée comme une fancy-fair (avec ballons lumineux et formes découpées de couleurs criardes aux murs), où ont joué pas mal d’artistes chauds-boulettes de ces dernières années: The Horrors, Black Lips, Diplo et The Vaccines, pour n’en citer que quelques-uns. Ce samedi soir, c’est un combo nettement plus obscur qui s’agite sur scène, La Femme, des Français qui semblent jouir en Angleterre d’un suivi « culte » mais notable, signés chez Barclay et venant notamment de terminer une tournée en première partie de Maxïmo Park. Pour le coup, il sont en terrain conquis mais très peu britannique. Le public est en effet principalement issu de cette frange de la communauté expatriée locale dont les femmes travaillent dans l’industrie du placement publicitaire de produits de luxe alors que leurs mecs se regardent pousser les poils d’oreilles. Des connards de Parisiens, en d’autres termes. Ça sent le parfum de pouffe, la nostalgie de la 1664, la pisse et la graisse à sale frite, et comme il est internationalement bien connu, là où il y a du Parichien, ça râle sec. L’ambiance jusque ici très bon enfant est de fait assez « roquet » depuis que le groupe balance sa purée sur scène. Il faut admettre que tout est fait pour: il a beau être désormais compliqué de vendre au Royaume-Uni de l’alcool à quiconque âgé de moins de 25 ans, l’unique bar est tenu par trois teenagers recrutés dans une nursery et ces Goonies mettent plus de temps à servir une bière qu’un Ecossais à payer une tournée générale (blague uniquement destinée à me faire davantage d’amis anglais). Cela excite bien sûr ces têtes de veaux de Parigots et elles se mettent toutes à avoir exactement le même comportement dans ce bar londonien que leurs parents le dimanche chez Filigranes: bousculer, fanfaronner, postillonner, marcher sur les pieds, insulter, mépriser… Nous, les Belges, cela nous amuse grandement d’observer cela, surtout que les nigauds les plus caricaturalement rustauds du lot correspondent vraiment aux pires clichés que l’on se trimballe sur le Lutécien en villégiature dans ce qu’il considère comme le Tiers-Monde: accents de semi-mongoliens fourrés au roquefort d’importation, rouflaquettes, bérets, marinières, parkas, looks plus anglais que l’Anglais… C’est jouissivement cruel. Surtout quand est exposée l’évidence qu’une face de Gargamel sur un corps habillé comme Pete Doherty donne plus un bon playmobil qu’un sosie de pop-star.

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Osons toutefois l’avouer: La Femme parvient par moments à franchement nous distraire de notre entreprise de french bashing généralisée. Loin du surf rock basique attendu, certains de leurs morceaux sont assez vénéneux, presque növö, du genre à se retrouver remixés ou patronnés par Bertrand Burgalat et Tricatel. C’est emballant, curieux, amusant, troublant. Nettement plus, en tous les cas, que lorsque le groupe nous balance des chansons plus punky qui donnent surtout l’occasion de revivre les pires heures du rock indépendant français à la Oui FM, le trip Mano Negra/Elmer Food Beat, l’ambiance Fête de l’Huma durant le règne de Jack Lang. À moitié horrible, à moitié terrible, le groupe n’en est donc pas moins selon nous à surveiller de près.

Le concert fini, nous croisons dans l’escalier un véritable sosie du Dop, ce qui nous émerveille au plus haut point. Il faut savoir que j’ai personnellement développé la croyance quasi religieuse que dans chaque ville du monde (pas Waremme, allez), il existe un sosie de DJ Dop Saucisse/Massacre, cette vieille grande gueule de la nuit éthylique et rock bruxelloise. Au Japon, c’est Dop Sushi. Dop Chorizo en Espagne. En Allemagne, Dop Brandwurst. En Amérique, Dop Hot-Dog. Et à Londres, nous rencontrons donc Dop Sausage. Consternation et hilarité quand on fait part à ce type qui ne demandait rien de l’existence de son doppelganger de l’autre côté de La Manche. Il faut bien imaginer le topo: vous êtes un Anglais de 50 balais bien frappés, à perfecto, entouré de deux nazis émo-kitty en pardessus de skaï avec des têtes de morts en peluche dans les cheveux et, soudain, une mère de famille éméchée accompagnée de deux quadras aux pores dilatés et d’une petite beauté méditerranéenne taiseuse vous balance qu’il existe à Bruxelles un type au pseudo de charcuterie qui est non seulement votre double parfait mais serait en plus de cela également indirectement responsable de la mort de Ian Curtis, la légende bistrotière bruxelloise voulant que Le Dop ait piqué la meuf belge au chanteur de Joy Division, lui donnant l’envie de se pendre devant un film de Murnau. C’est à ce moment que le cosmos se déchire. Pour ce Rosbif, qui n’y comprend rien. Mais pour nous aussi, dès que l’on capte que ce type n’est en fait autre que le DJ Cavey Nik, organisateur de soirées gothiques assez bien pif paf pouf du nom de Dead & Buried. Bref, L’EXACT équivalent batcave de ce que représente Dop Saucisse sur la scène rock bruxelloise. De quoi nous donner envie d’organiser des DJ battles sponsorisées par Focus, la bière London Pride et Eurostar (l’appel du pied, ici!). Avec des seaux plein de saucisses à côté des platines. Et beaucoup de tickets boissons dans la poche de poitrine des pousseurs de disques de service.

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