Kikk Festival: utopie, prochain arrêt

Ivan Poupyrev © Resonate Festival/Milenkovic Milovan
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Entre art digital et science futuriste, le Kikk Festival explore les technologies à même de changer notre rapport à l’objet. Rencontre avec Ivan Poupyrev, invité d’honneur qui transforme les plantes en instruments de musique.

Elle rouille pour de bon au cimetière des utopies surannées. La voiture volante n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Les projets mis en avant par le Kikk Festival sont formels: le futur n’est plus ce qu’il était. Sous-titrée « Next Utopia », la troisième cuvée de cet événement dédié à la création numérique déploie en effet des regards d’artistes tournés vers le futur. Codeurs, chercheurs, designers et créateurs y livrent leur vision d’avenir, toujours modelée par l’invasion du numérique dans notre monde tangible. Invité d’honneur pour une conférence liée au thème de cette année, Ivan Poupyrev a livré une série de prototypes illustrant à merveille l’intrusion du digital dans le monde physique. Son concept de REVEL (Reverse Electrovibration) simule par exemple des sensations tactiles sur une tablette mais également sur des objets entre table, mur et autre statuette. En balançant des courants électriques aux fréquences différentes dans la main de l’utilisateur, son cerveau est berné et pense toucher du bois, du métal, du papier, etc.

Le chercheur travaillant au Disney Research Lab ne se limite toutefois pas au monde inerte et transformait également des plantes en instruments de musique tactiles avec son récent Botanicus Interacticus. « Je ne veux surtout pas qu’on me colle une étiquette de futurologue », prévient le créateur travaillant sur des projets directement exploitables par les parcs d’attractions de l’oncle Walt. « Mes recherches ne sont qu’une voie parmi d’autres. Il s’agit juste de ma vision. Je n’envisage pas un futur où l’ensemble des objets de notre quotidien seront digitalement augmentés. Certains le seront. Ils auront deux représentations, l’une physique et l’autre virtuelle. »

À voir la dizaine d’installations numériques présentes dans le volet expo du Kikk, tracer une ligne claire sur l’horizon numérique est heureusement impossible. Le street artist Paolo Cirio se demande ainsi jusqu’où s’effacera la vie privée en exposant Street Ghost. Cet Italien a ainsi réalisé une série de peintures de rue, dessinant des passants sur des murs, à l’endroit même où Google Street View a enregistré leur photo. L’appropriation de nos données privées et de notre image par le monde digital résonne également derrière Chain Driven Hologram.

Street Ghost
Street Ghost© DR

Décapitation numérique

Ce dispositif (à tester sur place) du Belge Ief Spincemaille se profile en effet comme un miroir 3D reproduisant la totalité de la tête de celui qui s’y confronte. Le crâne y flotte comme dans une sorte de bocal holographique. Egalement obnubilé par les faciès, l’atelier Face as interface de Kyle McDonald proposera aux visiteurs d’écrire des lignes de code pour substituer l’emploi d’un clavier par les simples mimiques de leur visage. Détection des mouvements, affichage holographique, interfaces tactiles caméléons, impression 3D (un workshop en expliquera le montage en DIY), réalité augmentée… « Ces nouvelles technologies digitales infiltrent le monde physique. Les gens en parlaient depuis longtemps, ça vient juste de commencer, notamment avec les smartphones. Le futur c’est déjà maintenant, poursuit Ivan Poupyrev. Toutes ces technologies avancent simultanément, elles peuvent sortir sur le marché dès aujourd’hui, elles ne sont pas utopiques. Mais au final, c’est le business qui décidera. »

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Le « wearable computing » d’Anouk Wipprecht© DR

Comme un écho à ce constat, le thème « Next Utopia » du Kikk Festival ne se profile d’ailleurs pas selon ses organisateurs comme un rassemblement de doux rêveurs. « Via ces initiatives artistiques, on essaye de lever le voile sur le futur, de voir comment l’utilisation innovante de la technologie peut changer le monde, y compris celui des entreprises et de la communication, note Marie du Chastel, project manager de l’événement. Car les artistes inspirent concrètement les sociétés. » Traversé d’une vingtaine de conférences où l’on croisera notamment Les Editions Volumiques et leur travail d’éditeur entre livre traditionnel et réalité augmentée, le rassemblement créatif invite également Anouk Wipprecht. Cette styliste hollandaise qui a déjà habillé Fergie des Black Eyed Peas au Super Bowl 2011 est obsédée de « wearable computing ». Soit des prothèses spectaculaires réagissant à l’environnement qui les entoure. Le pod que David Cronenberg avait imaginé pour eXistenZ n’est pas loin. « J’ai effectué de nombreux travaux d’étude sur la réalité virtuelle mais je crois plus en une réalité augmentée que dans une RV totale, conclut Poupyrev. J’ai essayé récemment l’Oculus Rift (masque de réalité virtuelle, ndlr), je ne voudrais pas y vivre. » Qui le voudrait?

Let the music play

Dyskograf
Dyskograf© DR

Ex-Flexa Lyndo, Gaëtan Libertiaux alimente la direction artistique du Kikk. Le festival se tapisse donc sans surprise de projets musicaux singuliers. Le Möbius Gymnopedia d’Alice Pilastre emprunte ainsi la dualité sans fin du ruban éponyme pour jouer les Gymnopédies d’Erik Satie sur du papier métallique perforé (qui finit par s’inverser). Demandant au visiteur de dessiner des traits au marqueur sur un disque de papier, le Dyskograf de Sati & Yro tourne lui comme une platine vinyle dont le diamant serait remplacé par une Webcam lisant ces dessins. Last but not least, le workshop d’Hackerspace enseignera l’assemblage d’un instrument musical à base de micro-processeurs, avec capteur de distance. De quoi réinterpréter la thérémine…

  • INFOS: KIKK FESTIVAL-NEXT UTOPIA, NAMUR, GALERIE DU BEFFROI, DU 7 AU 9 NOVEMBRE, GRATUIT – WWW.KIKK.BE

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