Crise du disque: la distribution lâche le CD

De plus en plus de groupes et de disques. De moins en moins de magasins et de place en rayons. Le fossé continue de se creuser. Attention la noyade.

« La distribution telle qu’on la connaît est en train de disparaître. Il y a de moins en moins de magasins qui vendent des disques en Belgique et son année a été tellement désastreuse que Mediamarkt diminue ses rayons de 30 %. Je suis sûr que d’ici 5 ans, la chaîne ne vend plus de CD. »

Thomas Vierstraete, représentant du label Rough Trade, en sait quelque chose. Le compact disc a la gueule de bois. « C’est une tendance générale. Sur les dernières années, 25 à 30 % de la surface consacrée aux disques a disparu », remarque Didier De Raeck, promo et product manager chez V2. « Il n’y a pas de secret. Moins d’espace disponible, ça veut dire moins d’exemplaires des disques en stock, ou un éventail de musique moins grand à proposer aux clients. La plupart des magas font toujours la blinde de Shakira et nous, nous devons y aller au forceps pour placer 5 copies d’un super album en lequel on croit. C’est d’autant plus frustrant qu’il ne s’agit pas de mauvaise volonté. Les mecs voient la rentabilité au mètre carré. Le stock, c’est de la place. De la place et donc de l’argent. »

Murder in the record store… Le volume de sorties ayant par-dessus le marché augmenté, le cycle de vie des produits a été fameusement raccourci. « Avant, les disques passaient en moyenne 6 mois en magasin. Maintenant, après 8 semaines, on reçoit déjà des demandes de retour. Les enseignes doivent déstocker et ça tourne parfois au petit chantage. On te prend 50 exemplaires de X, si tu repars avec 50 copies de Y. »

« Il y a plus de sorties -j’ai l’impression que leur nombre a doublé depuis mes débuts fin des années 80- et moins de magasins. Les distributeurs se regroupent. J’ai parfois l’impression de devenir mon propre concurrent », avance Geert Mets (Domino, Konkurrent). « En même temps, je ne peux pas crier au génie chaque fois que l’un de mes groupes arrive avec un nouveau disque, et encore moins foutre un flingue sur la tempe du vendeur pour qu’il le prenne en grande quantité. »

Balle dans le pied…

Evidemment, il y a toujours le robinet Internet. Mais un disque qu’on ne trouve pas en magasin est un disque mort. Du moins un disque à qui on a sauvagement tiré une balle dans le pied. « Certains le commanderont peut-être sur Amazon. Mais les autres le téléchargeront gratuitement ou finiront par l’oublier », estime Mets qui, avec sa petite structure Zeal Records, a réalisé, grâce à Isbells, son meilleur chiffre d’affaire en 2010. 10 000 exemplaires ont été écoulés en magasins, dont la moitié dans des FNAC. Et 1400 ont été vendus à la sortie des concerts.

Une des exceptions qui confirment les règles. Car même dans des secteurs comme ceux du hard rock et du métal avec leur public réputé fidèle, la crise se fait méchamment sentir. Métrophone vient d’ailleurs de fermer ses portes dans le passage Saint Honoré. Alors, quand est-ce qu’on entasse toutes nos plaques dans le coffre et qu’on file les déposer au container? « Pas tout de suite », vous répondrait Olivier Maeterlinck, directeur de la Belgian Entertainment Association. « Les magasins spécialisés dans le divertissement réservent leur superficie à ce qui vend bien et possède un haut taux de rotation. Ils s’intéressent donc ces derniers temps davantage aux jeux vidéo qu’à la musique. Cependant, si le marché physique du disque se réduit, il représente quand même encore chez nous 90 % des revenus générés par la vente de musique enregistrée », assène-t-il comme pour calmer les ardeurs des fossoyeurs.

Autant le single se télécharge, autant le disque matériel, celui qu’on peut sentir et toucher, continue de régner sur le monde des albums. Reste que « le produit n’a plus de valeur pour toute une génération. La consommation de masse devient le digital, le téléchargement, le streaming… Et le forfait va sans doute se développer. En attendant, on a quand même encore vendu plus de 10 millions d’albums physiques en 2010… »

L’indé résiste plutôt bien. « Le petit groupe du fin fond des Etats-Unis presse toujours 2000 ou 3000 disques », affirme Thomas Vierstraete . « Mais plutôt que de les écouler dans son pays, il les vend, grâce à Internet, aux 4 coins du monde. »

La vente de musique ne sera plus jamais la même. Le marché mute. Les vendeurs changent. S’adaptent. Selon Olivier Maeterlinck, ils ont 3 options. Ils peuvent se diversifier. Vendre par exemple des appareils électroménagers… Se spécialiser. Le classique et le jazz, plus que les autres, attirent des consommateurs prêts à mettre la main au portefeuille. Ou encore « jouer la carte de la convergence. Comme un Free Record Shop dont tout le catalogue peut être commandé en ligne ».

« Je pense qu’on trouvera d’ici quelques années la musique dans des magasins de lifestyle », préfigure Thomas Vierstraete. « Des disques soigneusement sélectionnés se retrouveront au milieu des vêtements, des chaussures ou que sais-je encore. »

Comme cela se fait déjà dans des boutiques trendy aux Etats-Unis. L’auditeur a besoin de conseils, de repères… Même chez nous s’est développée la distribution non traditionnelle. Comprenez la distribution par des enseignes qui ne sont pas historiquement des vendeurs de musique. Le chiffre est saisissant. En 2010, un CD sur 10 en Belgique a été vendu par le biais d’un quotidien ou d’un magazine. C’est souvent moins l’album du groupe indé passionnant que le disque ronflant d’une star plus ou moins sur le déclin… « Il s’agit de coups marketings », analyse Maeterlinck . « Similaires, quelque part, à cette série flamande, Van Vlees en bloed , qui raconte la vie d’une famille de bouchers. » Et qui a été vendue en primeur à côté des steaks et des côtelettes. Espérons qu’on ne finisse pas par mélanger les cochons et les pochettes…

Julien Broquet

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