Comment Star Wars a redéfini le blockbuster

Mark Hamill dans Star Wars episode VI: A New Hope © LucasFilm
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Triomphe inattendu, la saga de La Guerre des étoiles a modifié le paysage hollywoodien en profondeur, ouvrant la voie aux blockbusters et à une uniformisation faite de sequels et de prequels à répétition…

« Si les réalisateurs du Nouvel Hollywood avaient tenté de faire des films adultes s’adressant à des adultes, Lucas et Spielberg, eux, s’adressaient aux enfants, n’hésitant pas au passage à infantiliser le public en le gavant d’effets sonores et d’effets spéciaux, mettant ainsi au rancard toute notion d’ironie, toute volonté de prise de conscience, toute réflexion critique ou encore tout sens esthétique. La Guerre des étoiles redessina tout le paysage du cinéma populaire pour longtemps, puisqu’en 1997, soit 20 ans plus tard, la reprise de la trilogie fut distribuée dans plus de 2000 salles aux Etats-Unis et rapporta plus de 250 millions de dollars. La reprise du Parrain, à la même époque, obtint des résultats plus que négligeables en comparaison de ce succès, prouvant ainsi, s’il le fallait, que le cinéma est aujourd’hui le domaine des enfants de Lucas, et non de ceux de Coppola. » Forçant sans doute quelque peu le trait, Peter Biskind établissait, dans Le Nouvel Hollywood(1), l’impact considérable qu’avait eu la saga Star Wars sur l’industrie cinématographique en général, et hollywoodienne en particulier -impact dont les effets se font toujours ressentir aujourd’hui.

Triomphe et dommages collatéraux

C’est peu dire, pourtant, que l’affaire semblait mal emmanchée, tant il ne se trouvait guère de monde, aux premiers jours de 1977, pour croire au projet porté par George Lucas, la Fox ne l’ayant d’ailleurs accompagné dans l’aventure qu’avec réticence. Si Lucas persiste dans son hommage aux serials SF des années 30 et 40, n’en venant à bout qu’au prix de nombreuses difficultés, les réactions à un premier montage du film ne sont guère plus encourageantes. Fabrice Labrousse et Francis Schall rapportent notamment dans Star Wars décrypté(2) comment Brian De Palma asséna, méprisant, à son compère: « C’est juste du vide avec des étoiles et quelques vaisseaux stupides », traduisant un manque d’enthousiasme général, auquel seul, ou presque, Steven Spielberg fera exception. Circonspect ou superstitieux, Lucas lui-même opte pour une prudente retraite hawaïenne le jour de la sortie américaine du film, pour être, comme tout le monde, cueilli par surprise par son succès. La suite est connue, et Star Wars triomphera au box-office tout en s’imposant comme un véritable phénomène culturel -un statut que confirmeront les épisodes à venir, et même une prélogie pourtant objectivement décevante.

George Lucas
George Lucas© DR

Non contente de s’avérer l’une des franchises les plus rentables de l’Histoire, la saga Star Wars va substantiellement modifier le paysage hollywoodien. En surface, tout d’abord, en remettant au goût du jour une science-fiction quelque peu tombée en désuétude. Laquelle retrouve là des couleurs et ses lettres de noblesse -une tendance qui ne s’est guère démentie depuis, pour le meilleur, façon Aliens, et l’éminemment dispensable, commeles films de superhéros guère inspirés pullulant désormais sur les écrans. Lucas est un auteur de « popcorn movies » assumé; son triomphe n’est pas, toutefois, sans dommages collatéraux: dans la foulée, et money oblige, les films propulsés par des effets spéciaux (que ses équipes ont révolutionnés) tendent à se substituer aux drames adultes tels que les confectionnait Hollywood, évolution dont l’on peut contempler les effets aujourd’hui encore, les blockbusters auxquels il ouvrait la voie dictant plus que jamais leur loi.

Une entreprise de recyclage

Lego Star Wars - le jeu vidéo
Lego Star Wars – le jeu vidéo

Star Wars a du reste été à l’origine de ravalements structurels apportés à l’industrie hollywoodienne. Si les franchises existaient déjà auparavant, James Bond restant la plus fameuse, la première trilogie impose la déclinaison d’une même histoire en plusieurs volets, avec pour effet des bénéfices multipliés. Ayant prouvé sa viabilité économique et plus encore, le modèle va se reproduire, et l’on ne compte plus les sagas se déclinant de sequel en sequel, au premier rang desquelles, bien sûr, The Lord of the Rings, de Peter Jackson, mais encore Harry Potter, The Hunger Games, Spider-Man (qui, tant qu’à faire, jouera aussi du reboot) et autre Divergent, pour n’en citer que quelques-unes.

Figurine Yoda
Figurine Yoda

A quoi Lucas apportera une variante non moins lucrative, faisant entrer le cinéma dans l’ère du prequel avec une prélogie retraçant, 20 ans après la trilogie initiale, les débuts de l’épopée. Si les histoires raccordent, ce qui constitue une sorte de tour de force, la technologie renâcle en dépit des divers « updates » successifs apportés aux trois premiers films, et les épisodes se situant en amont de la chronologie du récit sont aussi ceux présentant les effets spéciaux les plus aboutis, en un curieux anachronisme. La formule du prequel fera cependant des émules, et Hollywood s’est aussi muée en entreprise de recyclage, un postulat vérifié des X-Men au Hobbit. Tant qu’à décliner un même produit sous toutes ses formes, c’est aussi avec la saga Star Wars qu’elle entre définitivement dans l’ère du merchandising et des produits dérivés, susceptibles de s’avérer plus lucratifs encore que les films eux-mêmes. Biskind, toujours, rapporte qu’en 1997, après la reprise de la trilogie, la vente de licences avait rapporté près de trois billions de dollars en 20 ans. Et d’en déduire: « La tentation fut ensuite grande pour les studios de préférer à des personnages complexes et profonds des héros aisément transposables en figurines. » Morale de l’histoire: pendant que le cinéma hollywoodien s’appauvrissait, George Lucas, à l’inverse, s’enrichissait, pour se retrouver à la tête d’un… Empire.

(1) LE NOUVEL HOLLYWOOD, DE PETER BISKIND, ÉDITIONS LE CHERCHE-MIDI, 2002.

(2) STAR WARS DÉCRYPTÉ, DE FABRICE LABROUSSE ET FRANCIS SCHALL, ÉDITIONS BARTILLAT, 2015.

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