Critique

Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines)

Jimmy P. - Benicio Del Toro et Mathieu Amalric © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Pour son premier film américain, Arnaud Desplechin adapte limpidement l’ouvrage fondateur de Georges Devereux; récit complet d’une psychanalyse dont il extrait la sève romanesque, pour en faire aussi celui de la naissance d’une amitié.

Par un raccourci audacieux mais non dénué de pertinence, Arnaud Desplechin décrit Jimmy P. comme un buddy movie. Et il y a de cela en effet dans ce film, le premier essai américain de son auteur, et l’adaptation d’un ouvrage a priori intransposable à l’écran, Psychothérapie d’un Indien des Plaines, de Georges Devereux. Dans ce livre, publié à l’orée des années 50 aux Etats-Unis, l’ethnopsychiatre français fait le récit intégral, séance après séance, de la psychanalyse qu’il avait effectuée sur Jimmy Picard, un Indien du peuple des Blackfoot sorti traumatisé de la Seconde Guerre mondiale, et souffrant de maux de tête violents assortis de cécité temporaire, parmi d’autres troubles inexpliqués. Lequel allait être accueilli à ce titre à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau, où il devait se voir confié à l’attention de Devereux, un praticien original pour le moins.

Appel du romanesque

De cette histoire vraie, circonscrite dans un texte passionnant mais quelque peu aride, le réalisateur d’Un conte de Noël choisit de faire, en un puissant appel du romanesque, le récit de la rencontre et de l’amitié qui va se forger entre ces deux hommes que tout sépare a priori, n’était leur condition mutuelle d’exilés en Amérique, l’un en tant que « native », l’autre comme Juif d’origine européenne. Une relation qu’il retrace par le menu, à mesure que Jimmy Picard (Benicio Del Toro) se raconte à Georges Devereux (Mathieu Amalric) à travers ses rêves, dont l’exploration va générer une complicité grandissante, les révélant l’un à l’autre parfois à tâtons -le duo composé par les deux acteurs est en tous points fascinant-, en plus de Picard à lui-même.

Il fallait sans nul doute la sensibilité mais aussi la maturité d’un Desplechin pour mener à bien semblable entreprise -tout à la fois respectueuse d’un ouvrage auquel le cinéaste faisait déjà écho dans Rois et reine, mais l’amenant également en territoire purement cinématographique; la filiation avec John Ford est d’ailleurs justement revendiquée à travers une citation de Young Mr. Lincoln. A l’image de celle qu’assemble Madeleine (Gina McKee), maîtresse de Devereux débarquée pour un temps de Paris, le film évoque ainsi quelque poupée russe, dévoilant ses strates successives à mesure qu’il se déploie, en un mouvement toujours plus fluide, entre les séances à répétition et les souvenirs de Jimmy, inscrits dans un paysage américain souverain.

Navigation féconde que celle-là, découvrant une perspective enivrante où, à la richesse humaine du récit viennent se greffer d’autres dimensions, et notamment politique -c’est ainsi Picard qui saluera Devereux pour « avoir tenu ses promesses », parmi d’autres répliques questionnant l’Histoire américaine de manière aiguisée, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’appuyer le trait. Porté encore par un lyrisme discret, Jimmy P. apparaît d’ailleurs comme le film le plus épuré d’un cinéaste particulièrement inspiré, manière aussi de s’effacer devant la densité de cette aventure dont l’onde, lumineuse, se prolonge bien au-delà du générique…

  • DRAME DE ARNAUD DESPLECHIN. AVEC BENICIO DEL TORO, MATHIEU AMALRIC, GINA MCKEE. 1H56. SORTIE: 11/09.
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