Critique | Livres

Jean-Philippe Toussaint – Nue

Jean-Philippe Toussaint © Philippe MATSAS/Opale
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Avec Nue, Jean-Philippe Toussaint clôt l’exploration spatio-temporelle d’une passion compliquée. Faire et défaire l’amour.

Jean-Philippe Toussaint - Nue

« Serait-ce jamais fini avec Marie? » Dans Fuir, Prix Médicis 2005, le Belge Jean-Philippe Toussaint (La Salle de bain, L’Appareil-photo) ouvrait sur une vraie question -de celles qui occupent une oeuvre entière. De Marie, créatrice de haute couture et éternelle ex du narrateur, il aura finalement été question le temps de quatre livres, soit un arc romanesque tendu sur plus de dix ans, entamé en 2002 aux éditions de Minuit avec Faire l’amour, poursuivi avec Fuir (2005), La Vérité sur Marie (2009), et désormais Nue, forme de conclusion aujourd’hui atteinte -sublimement atteinte. Une décennie pour ausculter, sur seulement deux années en termes de fiction, les aléas d’une liaison qui n’en finit pas de se défaire: « Nous nous aimions mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, maintenant, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire dans l’ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable. »

Fuseaux horaires et fantasmes

Dire de Nue qu’il offre une résolution aux trois romans qui l’ont précédé va bien au-delà de la question -dont nous ne dévoilerons rien ici- de savoir si le narrateur et Marie cesseront un jour de refaire l’amour ensemble pour la dernière fois. Stupéfiant de maîtrise, construit d’un seul tenant, Nue contient, reprend et redistribue les trois livres précédents, tous appréhendables indépendamment et dans un ordre éventuellement aléatoire. Jean-Philippe Toussaint a pensé sa pyramide littéraire en termes souples et mouvants, le long d’une géographie récurrente (mégapole chinoise, maison de famille à l’île d’Elbe, dédoublement d’appartements à Paris, centre d’art tokyoïte) et d’une chronologie fusionnant fantasmes, fuseaux horaires et souvenirs au nom d’une hypnotique répétition amoureuse -et donc, logiquement, d’un ressassement littéraire.

Récit d’un amour épuisé ou d’une rupture éternellement recommencée, peu importe, finalement: au fil de la tétralogie « Marie Madeleine Marguerite de Montalte », de son nom entièrement déplié, Jean-Philippe Toussaint ne se sera jamais contenté de raconter une histoire -dimension somme toute assez secondaire de livres sous perfusion Nouveau Roman-: en termes de littérature, il aura avant tout créé du temps, et de l’espace -autre manière, magnifique, de creuser l’intime. A l’architecture psychologisante classique d’une histoire de désamour, il aura opposé la plasticité d’une langue (dorée, aérienne, constamment singulière), et des scènes d’une puissance anthologique (la baignade dans une piscine au sommet d’un hôtel à Tokyo dans Faire l’amour, la course à moto pékinoise dans Fuir, l’échappée furieuse d’un pur-sang sur le tarmac d’un aéroport dans La Vérité sur Marie, la présentation-fiasco d’une robe en miel lors d’un défilé de mode dans Nue). Humour décalé, courant érotique diffus, menaces de catastrophes quasi permanentes (sexe et mort, toujours): c’est à la fois pas grand-chose et énorme; un petit miracle comme il s’en produit rarement, un petit miracle, définitivement.

  • Nue, de Jean-Philippe Toussaint, Editions de Minuit, 177 pages

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