Sébastien Tellier, l’interview festival

© Olivier Donnet
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Une poignée d’heures avant son concert dourois de vendredi soir, Sébastien Tellier, l’enfant du soleil, répondait aux questions de Focus Vif. Sans langue de bois. La tête dans les étoiles.

Tu joues dans quelques heures ici à Dour. Le live, pour toi, c’est plutôt une pénitence ou bien le prolongement indissociable et inhérent à l’écriture d’un disque?

Sébastien Tellier: Le live, pour moi, c’est un problème complexe. Avant de jouer, je vomis, je m’enferme, j’ai peur. Et puis, une fois que je suis sur scène, je me détends. Ce qu’il y a d’intéressant pour moi c’est que dans ma vie normale je n’arrive jamais à être moi-même, je joue toujours une sorte de rôle, c’est un problème psychologique malheureusement… Mais sur scène, je parviens enfin à être moi. C’est-à-dire que j’arrive à être sincère, je suis le vrai Sébastien Tellier comme j’aimerais l’être tous les jours.

Pourquoi ce trac, alors, finalement?

C’est comme ça, c’est l’envie de bien faire, c’est la peur de rater. Et puis, dans un concert, tout peut arriver. Il peut y avoir un projecteur qui tombe, une corde qui casse, tout peut s’éteindre d’un seul coup. Finalement, à chaque fois c’est un immense risque, un concert.

Vu comme ça, la vie c’est un immense risque aussi…

Bien sûr, c’est encore plus dangereux de traverser la rue que de faire un concert, c’est vrai (rires). Mais bon, dans la tête d’un artiste, quand on monte sur scène, c’est comme si le monde était pendu à la réussite de ce concert. Après, on ne réalise pas toujours en tant que chanteur… On arrive dans une ville, pour nous c’est vraiment important, mais en fait les gens ils viennent juste boire une bière (rires). Ce n’est important pour personne sauf pour le chanteur. Mais la scène, c’est quand même là où est censé se révéler le véritable talent de l’artiste. Parce qu’un disque, on peut tellement en maquiller les fautes que, finalement, c’est un masque. Alors que sur scène, il n’existe pas ce masque. Après, il y a une nouvelle culture que tout le monde connaît qui est la culture du DJing, où là il suffit d’arriver, de faire « play » et puis après de faire semblant de s’éclater sur sa propre musique, mais moi je n’aime pas faire ça parce que ce n’est pas de ça dont j’ai besoin pour être fier de moi.

Ce rôle, ce personnage dont tu parlais, c’est quelque chose de plus en plus difficile à contrôler au fil du temps?

Oui, complètement. D’ailleurs, je crois que j’ai perdu le contrôle à un tel point que je ne sais plus qui je suis. C’est-à-dire, il y a des gens, j’imagine, je ne sais même pas d’ailleurs, on a l’impression qu’ils sont vraiment eux-mêmes, qu’ils se vivent pleinement. Moi je ne me vis pas pleinement, j’ai l’impression d’être à côté de moi. C’est comme si je roulais très vite et à côté de ma vie. Je ne sais pas, c’est très bizarre. Mais c’est vrai qu’à force de changer de personnage, d’être en permanence dans une espèce de grandiloquence, c’est très dur après de revivre les choses simples de la vie. Ca fait un tourbillon cosmique dans la tête.

Pour revenir au concert, ce concept d’Alliance Bleue qui traverse le disque, il s’incarne comment sur scène? Il y a des pépitos disséminés un peu partout?

Non, ce que j’essaie de faire c’est de recréer une ambiance de temple de lumière. Je voudrais transformer toutes les scènes sur lesquelles je joue. Alors bon, en festival, c’est difficile parce qu’on est plein de groupes sur la même scène, mais quand je fais un concert perso on décore tout pour qu’on ait l’impression d’être dans une cathédrale de 2080.

Certains nouveaux morceaux, comme Russian Attractions, fonctionnent d’ailleurs comme des sortes de cathédrales sonores…

Oui voilà, c’est souvent comme ça que je définis mon dernier disque. C’est vraiment le grandiose au service de l’intime. J’aurais pu faire juste un truc wagnérien, d’une puissance énorme. J’aurais pu faire aussi juste un album intimiste. Mais là ce qui m’intéressait c’était justement de faire cohabiter les deux, la force et la faiblesse en quelque sorte, le géant et le petit. J’ai toujours imaginé, en faisant le disque, que j’étais une toute petite personne face à la mer et qu’un immense raz-de-marée bleu arrivait vers moi.

Et donc, en concert, vous êtes beaucoup sur scène? Tout est joué live?

On est trois sur scène et on utilise beaucoup d’ordinateurs parce que l’album est très chargé en arrangements, il y a des chorales, des orchestres et des guitares dans tous les sens. Ce qui fait qu’on est trois à jouer réellement et après autour de nous il y a des ordinateurs qui jouent tout ce qu’on ne peut pas jouer à trois. Parce que quel groupe aujourd’hui peut voyager avec 100 personnes? Même Madonna, je ne pense pas qu’elle pourrait faire sa tournée avec 100 choristes. Donc tout ça c’est parce que la musique va mal, qu’on ne peut pas mettre les moyens, sinon moi je me baladerais avec des pyramides, des chameaux… Il y aurait tout: fontaines d’Orangina, toboggans… Mais on est limités par l’argent. En même temps, faire un concert d’électro sans ordinateur, ce serait comme faire un concert de rock sans guitare électrique. Donc moi j’utilise vraiment les ordinateurs sans complexe, mais sans mensonge non plus, c’est-à-dire que je ne fais pas semblant de faire un truc. Tout ce que je joue est réel et puis le reste ça vient de l’ordinateur, qui fait très bien son travail chaque soir.

Un confrère inspiré me soufflait récemment qu’avec ton dernier disque, tu voulais à la fois être Claude Debussy et Claude François…

Oui c’est vrai (rires). Non mais c’est pas bête. C’est vrai que moi j’ai plein d’amours différentes en musique. C’est-à-dire que je respecte autant Elsa -(Il chante) « T’en vas pas. Si tu l’aimes, t’en vas pas…« – que Run DMC, que Guns N’ Roses, que Pink Floyd… J’aime aussi passionnément les chansons de fillettes que les musiques de vieux genre Gershwin. Donc j’essaie de tout être. Je pense que finalement mes albums sont la somme de tous mes amours. Même si je ne me dis pas, tiens, je vais être mi-Claude François mi-machin… C’est pas comme ça que ça se passe (rires). Je fais ce qui me vient mais je trouve que ce qui me vient, on pourrait effectivement l’analyser comme ça. C’est vraiment pas bête comme vision du disque.

Du coup, on ne sait pas toujours sur quel pied danser. Blague potache? Trip raëlien perso?

Ce qui est sûr, déjà, c’est que c’est un divertissement. On ne peut pas prendre l’Alliance Bleue au sérieux. Il faut bien que les gens se rendent compte que la première chanson de l’album s’appelle Pépito Bleu. Non mais je dis ça parce que je reçois des messages de gens qui pensent que tout ça c’est vraiment réel. Bon ok, tout le monde peut s’inscrire à l’Alliance Bleue, mais c’est pour quoi faire? Ok, peut-être qu’un jour on fabriquera un parc d’attractions pour adultes mais en attendant, c’est pour avoir des places gratuites au concert, pour m’accompagner au restaurant, pour passer un peu de temps dans les loges avec moi… C’est un amusement, c’est une grande distraction. Ce que je fais, c’est de l’entertainment à 100%. Ceux qui prennent ça au sérieux, c’est qu’ils sont vraiment désespérés, et moi je les plains d’ailleurs, les pauvres… Mais ce n’est pas une blague non plus. Les idées que je véhicule à travers tout ça, quand je dis qu’on manque de liberté, c’est réel. Quand je dis qu’il faut replacer la foi au centre de nos vies, c’est réel. Ce que je dis, mes pensées, mes théories, sont réelles. C’est vraiment ce que je pense. Après, le reste c’est juste une immense mise en scène pour mettre en valeur ma musique, tout simplement. Et me mettre en valeur moi.

Un peu comme Katerine, dans un autre genre, tu fais le grand écart entre le pur divertissement et une certaine exigence musicale…

Oui, et l’équilibre se trouve naturellement, en faisant s’opposer deux forces inverses. Après, l’humour c’est pas vraiment comme l’absurde. Moi je fais surtout dans l’absurde, finalement. Katerine, il est plus humoristique, j’ai mangé ma banane ou je sais pas quoi… C’est plus potache. Mais après je veux pas l’attaquer, je le trouve très cool et tout. Mais ce que je fais, je dirais que c’est plus sophistiqué. J’essaie de définir à travers ce que je fais une sorte de lifestyle, il y a tous les éléments de la vie et dans la vie, parfois, c’est bien de ne pas se prendre au sérieux par exemple. Si toutes les chansons étaient sérieuses, à quoi bon… Et puis aussi c’est l’influence des médias, parce que la télé, notamment, s’est beaucoup invitée dans les backstages. Il y a beaucoup d’émissions où on voit la maison des rappeurs, où on voit les gens dans les loges juste avant de monter sur scène. Et pareil pour le cinéma, on voit plein de making of et tout… Ce qui fait que tout ça, ça tue le rêve. Les gens savent très bien qu’un artiste, c’est une personne comme toutes les autres, qu’un chanteur c’est quelqu’un de banal. C’est pour ça que maintenant, il n’y a plus de raison de se pointer comme Elvis. Parce que les gens savent très bien qu’après, le mec va aux toilettes…

Propos recueillis par Nicolas Clément

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