Critique | Livres

Le livre de la semaine: Le Brigand bien-aimé, d’Eudora Welty

Eudora Welty © DR
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

CONTE | Le Sud n’a pas dit son dernier mot. On redécouvre avec bonheur Eudora Welty, amie de Faulkner et amoureuse du Mississippi méconnue dans nos contrées. À tort.

Le livre de la semaine: Le Brigand bien-aimé, d'Eudora Welty

Au début des années 40, William Faulkner est à Hollywood, en contrat comme scénariste pour la MGM et la Twentieth Century Fox. Dans une revue littéraire, un récit capte son attention: il s’intitule Le Brigand bien-aimé, et est signé par une certaine Eudora Alice Welty. Faulkner lui envoie immédiatement une lettre: « Qui êtes-vous? Quel âge avez-vous? Où vivez-vous? Puis-je vous aider? » La native de Jackson, Mississippi (1909-2001) et le Dieu du Sud, de douze ans son aîné, se fréquenteront de loin en loin jusqu’à la mort de ce dernier en 1962. De ce clan sudiste, par tradition terrien et hanté par l’Histoire, auquel Faulkner l’affiliera, Welty restera à vrai dire longtemps le dernier Mohican après la mort des Flannery O’Connor et Carson McCullers qui auront entre autres signé son âge d’or -Eudora s’éteindra, elle, à 92 ans, non sans avoir posé sur le XXIe siècle naissant ses yeux incroyablement bleus, son caractère trempé et sa profonde humanité.

Refusée par Berenice Abbott

Son existence, Welty la consacre tout entière à l’art (on ne lui connaît pas de liaison, elle ne quittera que rarement sa maison de naissance de Jackson). C’est toutefois à travers la photographie que la jeune Eudora commence à s’exprimer, passant tout son temps à documenter la Grande Dépression sur les routes des comtés du Mississippi. Echouant à faire publier ses clichés, refusée à un cursus new-yorkais donné par Berenice Abbott, la photographe déçue se réfugiera dans l’écriture -un second choix qu’elle ne quittera pour ainsi dire plus, transvasant sur papier les mêmes personnages et lieux hantés qui la fascinaient sur pellicule. Elle publiera une dizaine de recueils de nouvelles (L’Homme pétrifié), la moitié de romans (La Fille de l’optimiste, Prix Pulitzer en 1973) et des mémoires, Les Débuts d’un écrivain, best-seller à sa sortie en 1984 aux Etats-Unis. Tous titres traduits en leur temps en français mais devenus, faute de réimpressions, en grande partie introuvables aujourd’hui -authentique trésor dont s’emparent aujourd’hui les éditions Cambourakis, annonçant un calendrier de rééditions bienvenues.

Court roman de 1942, Le Brigand bien-aimé ouvre donc la danse, conte andersenien violent, féérique et drôle situé au pied de la piste de Natchez, un ancien tracé de bisons où se croisent tout ce que le Sud compte de voyageurs à cheval, d’Indiens, de bandits, de missionnaires ou d’animaux au temps des pionniers. Clément Musgrove est un planteur prospère et innocent, abusé par l’infâme marâtre qu’il a prise pour seconde femme, la laide et vieille Salomé,-« une figure à faire mourir n’importe qui de chagrin ou de rire ». C’est en particulier sa fille Rosamonde, jeune Cendrillon mythomane et romantique, qui fait les frais de la haine de sa belle-mère avant de se réfugier dans les bras musclés de Jamie Lockhart, amant ténébreux et brigand des bois courant l’argenterie anglaise autant que les scalps d’Indiens Creek. Chez Welty, le soleil tape sur les clairières, et l’air a ce parfum fumé du Sud, goût de poussière et d’orage. Répliques géniales, retournements vicieux et joyeux marivaudages: Eudora Welty, portée au pinacle par Toni Morrison, Richard Ford et Joyce Carol Oates, a vu son Brigand devenir une comédie musicale à succès dans les seventies. Les Coen brothers seraient bien inspirés d’en acquérir les droits pour le cinéma.

  • Le Brigand bien-aimé, de Eudora Welty, éditions Cambourakis, traduit de l’anglais (USA) par Sophie Mayoux, 144 pages.

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