Laurent Raphaël

Le temps presse

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Merci d’éteindre votre portable avant de lire cet édito.

L’édito de Laurent Raphaël

Les nouvelles technologies étaient censées nous faciliter la vie. Plus besoin de chercher une cabine de téléphone, elle sera désormais dans notre poche; plus besoin d’attendre l’ouverture du bureau de poste pour envoyer un télégramme, les messageries électroniques fonctionneront jour et nuit, 365 jours par an. Pourtant, depuis que les smartphones, tablettes et autres laptops font partie de l’équation, ce n’est pas vraiment la joie. L’homo numericus déprime. Ereinté, stressé, acculé, il n’arrive pas à suivre la cadence. Le temps lui échappe. Trop de choses à faire dans des délais qui semblent avoir rétréci au lavage numérique. Bref, il a l’impression déprimante d’être toujours en retard, comme le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles.

Depuis l’avu0026#xE8;nement des smartphones u0026amp; co, l’homo numericus du0026#xE9;prime. Ereintu0026#xE9;, stressu0026#xE9;, acculu0026#xE9;, il n’arrive pas u0026#xE0; suivre la cadence.

Victime de ces symptômes, Florian Opitz, un réalisateur allemand, a longuement enquêté sur ce mal du siècle. Il en a tiré un documentaire en mode autobiographique qui tente, entre humour et sérieux, de comprendre pourquoi et comment on a perdu les commandes de nos vies (le film s’intitule Speed, on peut le voir gratuitement sur YouTube).

Une autopsie qui n’aidera pas à remonter le moral des troupes. La frénésie technologiquement assistée a fait exploser le nombre de burn-outs, qui arrivent quand l’avalanche de choses à faire, à gérer, à trancher submerge soudain le skieur. Pour info, si vous n’avez plus de plaisir quand vous partagez une repas avec des amis ou quand vous vous occupez de vos enfants (notamment parce que vous avez la tête ailleurs, sous-entendu: au boulot), et si vous n’arrivez pas à dire non aux multiples sollicitations, au risque donc de charger un peu plus la barque, la chute est proche…

Le plus plombant dans l’histoire, c’est que personne ne semble en mesure de freiner le mouvement. Et pour cause, dans sa soif de vitesse, l’homme a créé un monstre dont il est devenu l’esclave. La machine n’est plus à notre service comme on se berne à le croire, elle dicte son rythme infernal, incompatible avec le rythme biologique naturel. Internet a abattu les cloisons temporelles. Tout (les loisirs, les outils professionnels, le commerce…) est disponible en permanence. Assaisonnez le ragout de quelques vérités économiques (du genre « Le temps c’est de l’argent », « Les plus rapides mangent les plus lents », etc.) et vous obtenez un cercle vicieux qui s’autoalimente: le système accouche d’innovations qui augmentent encore le rendement d’une seconde. Pour suivre on doit donc accélérer le tempo. Mais comme on manque de temps, on réclame des technologies plus rapides pour nous aider. Et ainsi de suite. Un sociologue utilise une métaphore éloquente: la dépendance aux nouvelles technologies ressemble à un ulcère cancéreux qui se développe jusqu’à tuer son hôte.

Comment sortir de là? Le sevrage? Difficile à tenir si on ne change pas d’environnement. Couper les ponts avec la modernité? Pourquoi pas, mais mieux vaut dans ce cas pouvoir s’appuyer sur un matelas bien dodu. Sinon le risque est grand de rejoindre ceux qui n’ont pas plus de temps que les autres, mais nettement moins de moyens pour l’occuper.

L’amateur de culture connaît bien cette sensation de trop-plein. Exposé à la masse grouillante des nouveautés, il doit faire constamment le tri, lutter contre la dispersion, l’émiettement, la frustration. Qu’est-ce que je fais ce soir? Je vais au cinéma, je vais voir une pièce de théâtre, je lis un bouquin…? Et si j’opte pour un film, lequel choisir? Il y en a au moins cinq à l’affiche qui me tentent. A moins que je ne me rabatte sur la pile de DVD qui traînent ou que je ne cherche mon bonheur dans le catalogue VOD… On nous a enfermés dans un magasin de friandises mais on n’a droit qu’à un bonbon.

C’est décidé, demain, je m’isole, j’éteins toute ma quincaillerie numérique et je me replonge dans Proust. La solution à nos maux doit bien se trouver quelque part dans A la recherche du temps perdu

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