Serge Coosemans

The Wolf of Wall Street, nouveau classique du cinéma de fêtards

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans a vu The Wolf of Wall Street de Martin Scorsese, un film qui tient selon lui du remake de 24 Hour Party People avec des traders à la place des Happy Mondays. Il tente de nous convaincre du bien-fondé de son interprétation à l’aide d’une petite théorie sortie de sous le comptoir. Sortie de route, S03E20.

Après avoir vu The Wolf of Wall Street, j’ai cette nouvelle théorie de comptoir. Je pense qu’au moment de monter ce film, dans les têtes de Martin Scorsese, de son scénariste et de ses principaux acteurs, il s’agissait moins de raconter la vie d’un trader irresponsable doublé d’un parfait escroc que de rendre un vibrant hommage à un fêtard de l’extrême, un prince de la cuite, un grand seigneur de la débauche. Certains critiques ont assez durement reproché au film de glorifier le personnage (bien réel) de Jordan Belfort. Ils attendaient de Scorsese un coup de poing en travers de la gueule de la finance mondiale, une posture morale jugeant sévèrement l’enrichissement indécent de ces salopards cocaïnés de Wall Street. Or, ce qui semble surtout intéresser le cinéaste new-yorkais et pourquoi il se montre impressionné par Belfort, c’est que celui-ci est encore en vie après les tonnes de drogues diverses et les litres d’alcools forts qu’il s’est enfilés tout au long de ses golden years.

Le respect que parait manifester Scorsese, ancien cocaïnomane notoire, pour Belfort, polytoxicomane pas vraiment repenti, tient selon moi du même genre d’admiration que l’on peut éprouver pour Keith Richards, Hunter Thompson, Dean Martin et les mecs de Mötley Crue. Il s’agit moins de reconnaître un talent, d’apprécier une personnalité ou de vénérer l’ensemble d’une oeuvre que d’applaudir, en connaissance de cause, une capacité mutante à survivre aux fêtes les plus folles, aux drogues les plus débiles, à se foutre des lois et des convenances avec flamboyance. Autrement dit, à se marrer comme un beau diable dans une société dont la vertu serait l’une des premières prétentions. Les protagonistes de The Wolf of Wall Street auraient pu être maffieux, rockeurs, stars hollywoodiennes, maçons, étudiants, chroniqueurs de site Web ou chômeurs. Malgré son titre, ce n’est pas un film qui parle d’un boulot spécifique, c’est un film qui se marre surtout du sens poussé de la fiesta, de l’attrait pour la déglingue hédoniste, que ressentent certaines personnes nées pour faire la fête. Le scandale financier n’y serait presque qu’une intrigue secondaire.

Je ne pense dès lors pas que ce soit un hasard que le rôle de Jordan Belfort soit revenu à Leonardo DiCaprio, dont les virées extrêmes entre potes braillards ravissaient les tabloïds des années 90. Je m’étonne encore moins d’y retrouver Jonah Hill, comédien dont il n’existe quasi pas de film qui ne comporte une scène de beuverie monstrueuse ou une série de gags basés sur l’abus de drogues. Autre élément à charge: le choix de Joanna Lumley dans le rôle de la tata britannique. Joanna Lumley, l’Absolutely Fabulous Patsy Stone; autant dire la Déesse-Mère des binge drinkers internationaux et autres amateurs décomplexés de la flasque de vodka au petit déjeuner. On se reconnaît vite entre fêtards. On partage des codes, des envies, des façons de voir. Avec un peu d’expérience, un fêtard qui entre dans une soirée repère assez vite avec qui il est susceptible de rire, de coucher, de se battre, de se droguer. Lorsque dans le film, Jonah Hill et Leonardo DiCaprio se rencontrent, ils parlent un peu swag, ils imaginent comment gagner du fric sans trop se fouler mais ils fument surtout très vite du crack ensemble. Et ça les fait rire… Le film ne semble d’ailleurs jamais s’attarder sur la réalité du travail de trader, sur le quotidien stressant. C’est rapidement survolé alors que les outrages sous substances et les débilités que ces gens se racontent entre eux dans des états plus que seconds font l’objet de scènes d’anthologies étalées comme autant de petites épopées (l’avion vers la Suisse, les pillules jaunes de 1981, jeter des homards aux flics…).

The Wolf of Wall Street me fait dès lors penser à ces discussions, d’ailleurs tout aussi interminables que le film, que l’on peut avoir entre gens bourrés et/ou perchés certains soirs de sortie et certains lundis matins, quand chacun y va de son anecdote pleine d’outrances. Entre fêtards, on ne se raconte jamais le quotidien, le boulot, les amours, les problèmes. Par contre, le moindre accrochage entre bagnoles, les quasi overdoses, les bagarres avec des clochards, les embrouilles avec l’autorité et les disputes de couples ont généralement vite fait de prendre des dimensions homériques. Ce genre de sujet de conversation fait partie de la fête et pour un fêtard, il n’y a que cela qui importe: la fête, les préparatifs de la fête, la fête en cours, la fête passée, les résidus de la fête, les conséquences de la fête, la fête à venir et ce qu’il y a moyen de raconter pour rendre la fête encore plus festive. The Wolf of Wall Street me semble avoir très bien compris cela, comme Un singe en hiver avait très bien compris l’alcoolisme rigolard et Las Vegas Parano le fait que d’un état plus que second peut parfois surgir comme une grande idée. C’est pourquoi ce film, qui aurait pu selon moi tout aussi bien s’appeler 24 Hour Party Assholes, fait à mes yeux déjà figure de classique de la débauche. Il est d’ailleurs plus marrant encore accompagné d’une grosse gueule de bois. Décomplexée, de préférence.

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