Cannes: la red carpet côté face

Les journalistes ont rarement l’occasion de vivre Cannes de l’autre côté. Dévoilement de l’envers de l’endroit du décor.

Entendu à la boutique officielle, là où on vend des mugs, magnets et autres cartes postales siglées Festival de Cannes: « Tu connais Juliette Binoche? » « Chépas, faut que je voie sa tête. » Si Cannes a probablement 1000 visages, on en retiendra deux: celui des cinéphiles, et celui des autres. Ces derniers sont sans doute les plus nombreux, et aussi divers que variés: commerçants, riverains chasseurs d’autographes, starlettes en mal de producteurs (venues casser leur tirelire à la plage pour « prendre des contacts »), groupies de tous bords, milliardaires russes payant à leurs poules une petite dose de rêve en bord de mer, assistants personnels chargés de porter les sacs Prada de Madâââme entre un « rendez-vous make-up » et un « rendez-vous hairdresser »…

C’est cet univers-là qu’il nous a été donné de découvrir, à la faveur d’un séjour cannois offert par Stella Artois à la rédaction de Focus. De la bière, certainement pas de la chope: 3 jours dans la peau des stars, à dormir au Majestic, à manger en 17 services, à monter les marches, à faire la bringue sur la Croisette… et à voir un film, un, quand même (le derniers Resnais qui est, comment dire, euh… particulier).

Une expérience bien loin de la réalité des journalistes qui échouent à la côte d’Azur au mois de mai, contraints d’occuper des hôtels miteux à des tarifs exorbitants, de se sustenter de pizza froide dans des cafés-restaurants en surcapacité, et d’enchaîner projections sur projections, junkets sur tables rondes.

Torture médiévale

Les paillettes de Cannes ne sont pas pour les petites mains de la presse, traitées si pas comme du bétail, au moins comme une sous-caste -la couleur du badge déterminant de quel type de maillon de la chaîne alimentaire on est: important, donc autorisé à se balader plus ou moins librement sur place, ou moins-que-rien, et cantonné aux bords de terrains.

La seule institution démocratique cannoise était cette année la pluie, ininterrompue durant quatre jours, ruinant les brushings du quidam comme de la comédienne qui « a la carte ».

La pluie, le froid… et l’absence de taxis torturant les pieds emprisonnés dans des chaussures haut-perchées indispensables à tout qui espère monter les fameuses marches rouges nappées d’un tapis devenu spongieux comme de la mousse de sous-bois.

C’est la principale question qui nous a taraudée durant ce périple au pays de la palme: pourquoi la femme s’astreint-elle à une telle douleur? Les quelques centimètres et le galbe de la jambe gagnés ne justifient à nos yeux certainement pas ce qui s’apparente au sévice du pal: ça fait mal au début, c’est de pire en pire et quand ça s’arrête, ça laisse des stigmates face auxquels la crucifixion de l’autre barbu n’était qu’un léger chatouillis.

En fin de soirée, c’est souvent pieds nus sur le pavé, slalomant entre les mégots fumants, que les fêtardes regagnent leurs pénates, les microscopiques sacs baguette de rigueur n’ont en effet pas la capacité d’accueillir les ballerines qu’il est conseillé dans chaque magazine féminin d’emporter avec soi en soirée, des fois que la seule danse autorisée par les escarpins vertigineux serait le moulinet des bras.

D’ailleurs, ça ne dansait pas beaucoup aux soirées auxquelles nous avons pu nous faire inviter: la soirée de release du film belge Hors les murs (David Lambert), programmé dans le cadre de la Semaine de la critique, et la fameuse soirée des Belges au Radisson, véritable institution cannoise (« l’année dernière on y a fait danser des gens qui n’avaient jamais dansé de leur vie », affirme son attachée de presse).

Menu de la première: beaucoup d’alcool (à la plage Chivas, quoi de plus normal), quelques hipsters über gays (le public à qui visiblement s’adresse Hors les murs -bien qu’on n’ait rencontré personne qui a vu le film parmi les convives), de la bonne zic passée par un DJ au talent de mixeur somme toute circonscrit, des people à la renommée elle aussi somme toute très circonscrite (Jérôme Colin, Cédric Wautier)…

Menu de la seconde: beaucoup moins d’alcool (compter une demi-heure minimum par virée au bar, tant la foule était compacte et la barmaid évaporée), quelques grandes et petites mains du cinéma belge, de la zic rassembleuse passée par un DJ au talent de mixeur avéré -c’était Bernard Dobbeleer- et des people à la renommée somme toute très circonscrite (la célébrité la plus célèbre vue sur place étant Thomas Doret, le gamin au vélo des Dardenne).

Moues botoxées

La star, la vraie, c’est au Majestic (voire au Carlton ou au Martinez) qu’elle zonait, dans son restaurant Fouquet’s qu’elle mangeait. On tombait sur elle dans le lobby -un vrai hall de gare-, où se baladaient l’air de rien Adrian Brody, Luc Plamondon, Catherine Deneuve, Luc et Jean-Pierre Dardenne mais aussi Robert Charlebois et Paris Hilton, qui, étrangement, ne descend pas dans les hôtels de sa chaîne.

Une faune bigarrée qu’attend toute la journée une meute de photographes autorisée à assiéger l’entrée, dont un omniprésent nain -un drôle de choix de métier pour une personne de si petite taille.

Cannes, le paradis de l’escabelle, de l’échasse en bord de red carpet, où les photographes très au fait de la presse people beuglent le nom des stars qu’ils reconnaissent pour que celles-ci s’arrêtent à leur hauteur, tout décolleté pigeonnant dehors, et jouent de la moue botoxée pour espérer faire la Une des magazines, blogs et sites people.

Créatures d’une autre galaxie, alimentées à l’eau plate et à l’air à température ambiante, tirées, liftées, moulées, drapées, perchées… les starlettes de Cannes ne posent plus seins nus sur les plages, mais en robe du soir sur le tapis, désormais un peu plus accessible au grand public, pour autant que celui-ci fasse jouer ses contacts. Avec en tête, toujours la même envie: se faire remarquer, changer de vie. Échapper à la morosité du quotidien des vraies gens, tant pis pour les dents du fond qui baignent à force de fourrures, de bijoux, de flatteries et de services au restaurant.

Devenir une Juliette Binoche, oui, mais du genre de celle dont on n’a pas besoin de voir la tête pour savoir qui c’est.

Myriam Leroy

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