Uchronies, l’Histoire avec des si…

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FocusVif.be Rédaction en ligne

L’Histoire telle qu’elle aurait pu se passer: l’uchronie fait un tabac. De la mort de Lénine, en route pour la Russie, au sauvetage de JFK à Dallas, en passant par la fuite maquillée de Lady Di, les Derrière un terme obscur, il y a toujours une chanson populaire.

Lorsque Michel Sardou chantait : « Si les Ricains n’étaient pas là / Vous seriez tous en Germanie », savait-il qu’il recourait à l’uchronie, ce genre permettant d’imaginer un déroulement différent des événements ? De changer l’Histoire ? Bref, de refaire le monde, comme d’autres refont le match ? Le Larousse exprime cela en une formule : « Uchronie : utopie appliquée à l’Histoire, l’Histoire refaite logiquement telle qu’elle aurait pu être. »

Hasard ou non – et, dans cette dernière hypothèse, peut-être s’agit-il d’un besoin d’entrevoir d’autres possibles, d’apercevoir une éclaircie dans un monde sombre ? – l’actualité est riche en uchronies. Ainsi, l’Anglaise d’origine bangladaise Monica Ali imagine une Lady Di dont la voiture ne se serait pas écrasée contre un pilier du pont de l’Alma (La Véritable Histoire de Lady L., Belfond), et le duo français Léon Mercadet – Michel-Antoine Burnier invente un Lénine victime d’un accident de train sur le chemin de Petrograd (Il est midi dans le siècle, Robert Laffont). Encore plus fort, un géant des lettres américaines, Stephen King, met en scène un jeune prof remontant le temps pour empêcher Lee Harvey Oswald d’assassiner le président américain John Fitzgeral Kennedy dans 22/11/63, en librairie le 1er mars.

Le terme « uchronie » est apparu pour la première fois en 1857 sous la plume du philosophe français Charles Renouvier, même si cette démarche n’était pas si novatrice, puisque vingt ans plus tôt, dans Napoléon et la conquête du monde, Louis Geoffroy avait mis en scène l’Empereur conquérant Saint-Pétersbourg au lieu de s’obstiner sur la capitale, Moscou. A la même époque, le critique littéraire britannique Isaac Disraeli publia une série de courts essais – « alternate stories » dans le texte – intitulés De l’histoire des événements qui n’ont pas eu lieu. « Il imaginait notamment la défaite de Charles Martel à… Tours », précise à L’Express Eric B. Henriet, grand spécialiste du sujet et auteur de l’essai L’Histoire revisitée. Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes (Les Belles Lettres).

De la « fiction nostalgique » à l' »effet papillon »

Si de nombreux auteurs s’essayèrent à ce nouveau genre à la fin du XIXe et au début du XXe (Nathaniel Hawthorne, Castello Holford…), c’est sans nul doute le recueil If It Had Happened Otherwise (traduire : « Et si cela avait eu lieu autrement »), inédit en France, sous la direction de sir John Collings Squire, qui offrit à l’uchronie ses lettres de noblesse. Parmi les contributeurs de ce livre fondateur, on trouve les noms d’André Maurois, de G. K. Chesterton et de… Winston Churchill ! Le texte du futur Premier ministre britannique, autour de la guerre de Sécession, comportait un subtil jeu de mise en abyme, assez fréquent dans l’uchronie, remarque Eric B. Henriet. Mais c’est le célèbre Maître du Haut Château, de Philip K. Dick, salué par le prix Hugo 1963 – devenu, depuis, un roman culte – projetant le lecteur dans un univers parallèle où la Seconde Guerre mondiale aurait été remportée par l’Allemagne, l’Italie et le Japon – qui a permis au grand public de se familiariser avec ce que les Américains appellent les « what-if novels », genre touchant aussi bien la grande Histoire que les destins individuels.

L’uchronie, précise Eric B. Henriet, peut se diviser en trois genres : la « fiction nostalgique », à l’image de ces romans sur les victoires imaginaires de Napoléon ; l' »exercice scientifique » applicable à l’économie, la médecine, la physique, etc. ; et enfin, l' »outil de futurologie », prétexte à une réflexion sur le passé. Depuis une trentaine d’années, l’uchronie fondée sur le fameux « effet papillon » (« un simple battement d’ailes de papillon peut-il déclencher une tornade à l’autre bout du monde ? ») prospère, probablement parce qu’il pose des questions philosophiques assez pointues sur le temps et le destin. C’est le cas de La Part de l’autre, d’Eric-Emmanuel Schmitt (et si les Beaux-Arts avaient accepté le peintre Adolf Hitler ?), ou de Seras-tu là ?, de Guillaume Musso (un médecin retourne trente ans en arrière pour sauver la femme qu’il aime). Selon Simon Bréan, auteur de La Science-Fiction en France (PUPS), cet engouement s’expliquerait par le pessimisme du public sur les bienfaits de la technologie et par son intérêt, à l’inverse, pour les sciences humaines.

Mais l’uchronie n’est crédible que si elle s’impose un cadre. Mieux vaut ne pas se projeter trop loin dans le temps, suggère Eric B. Henriet. Et éviter tout dérapage, complète Simon Bréan. L' »affaire Norman Spinrad » est particulièrement révélatrice des limites du genre. En faisant de Hitler, dans Rêve de fer (1972) un immigrant en Amérique devenu écrivain de science-fiction à succès, Spinrad a suscité une levée de boucliers. Autres temps, autres moeurs ? Près de quarante ans plus tard, dans le film Inglorious Basterds, Quentin Tarantino faisait assassiner Hitler dans une salle de cinéma. Et tout le monde rit à gorge déployée.

Par Baptiste Liger

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