Jaco Van Dormael: « Si mes films ont marché, c’est par hasard »

Jaco Van Dormael © Belga

Jaco Van Dormael est le grand vainqueur de la première cérémonie des Magritte, qui s’est tenue samedi soir. Son film Mr. Nobody a été primé à plusieurs reprises. A mille lieues de penser à pareille récompense, Jaco Van Dormael répondait à l’époque aux questions de cinéphiles invités par Focus. Bribes choisies.

Il y a un an, quasiment jour pour jour, Jaco Van Dormael, invité par Focus, passait sur le grill de quatre spectateurs ayant visionné Mr. Nobody. Aujourd’hui, il est primé par les premiers Magritte du cinéma. Retour sur cette interview où le réalisateur (et acteur) n’imaginait sans doute pas qu’il remporterait pareile récompense.

C’est un film à voir plusieurs fois. Il faut laisser décanter petit à petit… Cela dit, si on y voit plein de belles choses sur la vie, globalement le sentiment général est celui d’une tristesse un peu diffuse… C’est intéressant… Cela fait partie des choses qui sûrement m’échappent. Disons que je pense d’abord avoir fait un film sur les choix. C’est un peu le regard croisé entre, d’une part, la vision du jeune sur l’avenir et, de l’autre, celle du vieux sur tous ces passés qu’il aurait vécus ou pas (peut-être qu’il n’en a même vécu aucun). D’un côté, il y a donc l’enfant qui est dans l’angoisse du choix: que dois-je faire? Prendre à gauche ou à droite?… Et de l’autre, le regard du vieux pour qui toutes les options sont intéressantes. Pour lui, il n’y a pas vraiment de bons choix. Chacun des chemins vaut le coup. Et dans chacun, il a connu l’amour… Dans ma vie privée, depuis que j’ai des enfants, je ne peux pas imaginer que mon trajet aurait pu être différent. Je ne peux pas concevoir une vie dans laquelle ils n’apparaîtraient pas. Et pourtant, si leur mère n’était jamais venue à cette soirée, ou que je ne m’étais pas dirigé vers le bar à ce moment-là, ils ne seraient pas là…

Est-ce que le fait de tourner en anglais a changé quelque chose? Auriez-vous fait le même film en français?
En tout cas, il est écrit en français. J’ai travaillé avec un ami traducteur pour la transposition, qui n’est jamais simple. Cela dit, il y avait des moments où des bribes de dialogues me venaient en anglais. D’abord parce que c’est un peu la langue du cinéma. Ensuite, je trouvais bizarre d’imaginer les scènes sur Mars en français. Avec quel accent d’abord? Marseillais, parisien, namurois? (rires) Si le film avait été davantage ancré dans le réel, je l’aurais fait en français. Si j’avais voulu montrer de vraies gens, avec de vraies gueules, de vrais lieux, bref le monde réel que je connais, je n’aurais pu le faire qu’en Belgique, en français ou en néerlandais, ou mélangé. Ici, comme rien n’est vraiment réel, l’anglais correspondait bien à cette espèce de no man’s land cinématographique. Le choix du visage, c’est un peu la même chose. On me demande parfois pourquoi j’ai pris des acteurs si beaux. C’est comme dans les films d’Hitchcock. Il emploie des acteurs qui ont une esthétique, un visage un peu à la Tintin, sur lesquels on peut projeter.

Vous apparaissez vous-même dans Mr Nobody…
Oui, je voulais faire un truc facile. D’abord en ne faisant qu’une prise pour moi-même, je ne fais qu’une prise. Et en plus, il ne fallait rien faire. Et je fais ça très bien! (rires) Je fais ça toute la journée. J’ai un ami metteur en scène dont la mère est arrivée un jour sur le plateau. Elle l’a regardé travailler pour comprendre un peu ce que faisait son fils. A la fin de la journée, elle lui a dit: « C’est quand même fou, tu es le seul qui ne fout rien de la journée, et en plus tu te permets de faire des commentaires sur le travail des autres. » (rires) C’est un peu vrai…

Qu’allez-vous faire après un film pareil? C’est vraiment la toute grosse production! On n’a pas l’impression de voir un film belge… (rires) Avez-vous envie de retourner aux sources, faire des films un peu plus documentaires, tournés vers l’expérimental pur et dur, effets spéciaux?
Mais je crois que Mr Nobody est de l’expérimental pur et dur. Et je crois que c’est un film belge. Dans le sens où ailleurs, il est souvent beaucoup plus difficile, intellectuellement, de mélanger autant de genres, et d’exploser le langage de façon aussi irrévérencieuse. Ce serait plus compliqué pour un Français, par exemple. En Belgique, l’avantage est qu’il n’y a pas d’école du bon et du mauvais goût. Il y a des individus qui font des choses, qui explorent un peu toute la gamme. Et effectivement, le dénominateur commun c’est qu’en général, on le fait avec peu de moyens. Ce qui n’empêche pas une vraie richesse, aussi bien au sud qu’au nord d’ailleurs… Cela dit, j’ai envie en effet d’aller vers des choses plus légères. Parce qu’aujourd’hui, il y a moyen de faire des trucs bien pétés avec des moyens légers.

On ne devra plus attendre 15 ans…
Non, je pense que cela va aller plus vite. (rires)

Vous n’avez pas peur en ayant attendu si longtemps d’avoir créé des attentes démesurées?
C’est quelque chose que je ne contrôle pas. Donc… Je pense que si mes films ont marché, c’est par hasard. Quand je me suis lancé dans un projet avec mes amis trisomiques, personne ne m’a dit: « Chouette, ça va cartonner! ». Ce n’était pas vraiment le discours que j’entendais… Il se fait que cela a résonné chez des gens. Mais sans que cela soit attendu, ou fait pour… Faire des films, de la musique, monter sur une scène, cela reste quelque chose d’étrange. C’est comme envoyer un message d’un endroit de la planète, pour dire: « Voilà, ici, la vie, cela pourrait ressembler à ça. » Et puis, il y a un mec en Afghanistan qui répond: « Ici, cela ressemblerait plutôt à ça. » C’est intéressant d’échanger ces expériences. Parce qu’on vit quand même ce truc étonnant qui est d’être vivant. C’est assez mystérieux, on ne sait pas pourquoi. Enfin moi je ne sais pas pourquoi. Mais c’est chouette. (sourire)

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