Critique | Livres

Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente

Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

RÉCIT | Héritier multi-primé d’Haruki Murakami, Hideo Furukawa esquisse une tentative de réponse à Fukushima. Un récit sous influences sismographiques.

DE HIDEO FURUKAWA, ÉDITIONS PICQUIER, TRADUIT DU JAPONAIS PAR PATRICK HONNORÉ, 160 PAGES. ***

Il y a quelques mois, un an après les ravages causés par le tremblement de terre et l’accident nucléaire au Japon, quelques écrivains brisaient le silence: l’Américain baroudeur William Vollmann débarquait ses bottines de journaliste gonzo Dans la zone interdite, la poétesse franco-japonaise Ryoko Sekiguchi publiait un journal sensible (Ce n’est pas un hasard), tandis que Michael Ferrier donnait le lyrique et puissant Fukushima, récit d’un désastre. Entre autres choses.

Aujourd’hui, et c’est l’une des premières à nous parvenir, une voix japonaise s’élève. Présenté comme l’héritier d’Haruki Murakami, de Garcia Marquez et de Borges, Hideo Furukawa (1966) entamait, un mois seulement après les faits, ce qui nous arrive aujourd’hui sous ce titre sublime, Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente. Il faut croire que la traduction a pris du temps. Deux ans de latence pour pareil sujet, c’est évidemment beaucoup. D’autant que le récit, qui s’est écrit dans la coïncidence aux événements, y puise tout son sens, hanté de part en part par la brûlante mise à l’épreuve de l’écriture face au réel. Partant du douloureux constat de l’impossibilité d’élever une fiction sur les ruines –« Je suis un romancier qui ne peut plus écrire de roman »-, Furukawa ressent néanmoins la nécessité d’écrire. « Je n’ai pas cru que la littérature était désormais sans effet. Pas un seul instant je n’ai douté. »

Natif de Fukushima, Furukawa se trouve à Kyoto le 11 mars 2011. Une ville relativement bien épargnée. De n’avoir pas expérimenté le tremblement dans sa chair, Hideo ne peut se dépêtrer d’une profonde sensation d’irréalité. Une expérience à laquelle la mythologie japonaise a donné un nom: « Kamikakushi » ou « Temps de l’enlèvement par les dieux », moment de catalepsie qui dépossède de toute notion chronologique. « Quand on est enlevé par les dieux, une demi-année peut passer comme une semaine, quelques secondes ou dizaines de secondes comme trois mois. »

S’irradier de réel

De cette suspension, Furukawa tente de s’extraire en partant pour la zone sinistrée. Désireux de « s’irradier » de réel, il veut « imprimer ses traces de pas sur le sable de la terre sinistrée ». Epousant le genre descriptif du journal, l’auteur file alors digressions historiques (on explore quelques pages du Moyen Age japonais) et divagations poétiques ou science-fictionnelles quand l’un des personnages de son dernier roman (La tribu des mille et une nuits, non traduit) vient littéralement frapper à la porte de son récit pour y réclamer une place. Son livre est une expérimentation sous influences sismographiques au sens le plus littéral: chaque fois qu’une réplique du séisme se produit, l’écrivain s’impose de reprendre entièrement son texte. La démarche est d’autant plus sensible qu’elle est vaine: le lecteur n’a pas traces de ces différents remaniements, puisqu’au bout de ces réécritures successives, seul l’objet fini lui parviendra. Si son livre est hybride, fragmenté, parfois franchement abscons, il faut reconnaître à Furukawa le sens de l’image, calme, fine et fataliste. Une des beaux décollages du texte se produit ainsi au moment du dialogue fantasmé entre l’écrivain et un cheval blanc égaré de Fukushima, errant après le recul de l’eau et le départ des hommes. Dans une interview à Télérama, Hideo Furukawa disait: « Pour moi, le travail du créateur, ce n’est pas de fournir une réponse, c’est de garder la question éternellement vivante. » Son livre Ô chevaux est bien cette tentative d’un enregistrement brut, d’une médiation -de celles qui à n’en pas douter permettront un jour le retour de la fiction.

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