Les 100 ans du studio Nikkatsu fêtés à l’Offscreen Film Festival

© DR
Stagiaire Le Vif

La dernière semaine du festival était largement consacrée à l’anniversaire du célèbre studio japonais Nikkatsu.

Mercredi 20 mars

Le cinéma Rits accueillait le spécialiste du cinéma japonais Jasper Sharp pour une lecture sur l’histoire du studio Nikkatsu, suivie de la projection du film Pigs and Battleships de Shohei Imamura (1961). Co-fondateur du site Midnight Eye et auteur d’un livre sur le cinéma érotique japonais, Jasper Sharp est revenu en une petite heure sur 100 ans d’histoire de ce studio fondé en 1912. Société importante au début du 20e siècle, la Nikkatsu (pour Nippon Katsud? Shashin, « Japan Cinematograph Company »), est réduite au statut de simple diffuseur pendant la guerre, avant de renaître en 1954. Obligé de se démarquer dans une industrie devenue plus concurrentielle, le studio embrasse alors la rébellion adolescente avec le genre « Sun Tribe », saupoudré de sexe et de drogue. Vient ensuite la « Borderless Action », inspirée des comédies musicales et des westerns occidentaux, des films d’action voués à divertir, éloignés de toute réalité nippone contemporaine. C’est en cherchant le meilleur moyen de survivre que la Nikkatsu se lance enfin dans l’érotisme (les fameux « romans porno »), produisant plus de 850 films dans les années 70 et 80. En faillite, rachetée, revendue, la Nikkatsu assure désormais un rôle de co-production, notamment pour Cold Fish de Sono Sion ou Shara de Naomi Kawase.

Le film Pigs and Battleships fait partie des oeuvres des « talents émergents » comme les nomme Jasper Sharp, des réalisateurs qui ont su s’imposer dans un studio dominé par les acteurs, avec des films questionnant la société japonaise. Quatrième long-métrage de Shohei Imamura, Pigs and Battleships illustre la dépendance des habitants de Yokosuka envers la base américaine qui s’y est installée. Un climat de violence fait de trafics et de prostitution gangrène la ville et compromet l’avenir des jeunes. « Plus personne ne fait la différence entre le bien et le mal », se désole un personnage face à l’aliénation de ses contemporains. Un message qui passe étonnamment par beaucoup d’humour (noir), comme dans ce final aussi mémorable que grotesque, plus parlant que tous les pensums moralisateurs.

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Jeudi 21 mars

Bref retour dans l’univers de John Waters avec le documentaire I Am Divine de Jeffrey Schwarz (2013). Ce film retrace la vie d’Harris Glen Milstead, alias Divine, ami d’enfance de John Waters devenu le plus célèbre travesti du monde. Le festival Offscreen avait l’honneur d’être l’un des premiers à diffuser le film, deux semaines à peine après la première mondiale au South by Southwest à Austin. I Am Divine est un bel hommage à celui qui a su surmonter les brimades de ses camarades de classe, en devenant ce personnage mémorable « à la fois sexy, monstrueux et terrifiant ». Parcourant toute la carrière de Divine (chanson, cinéma, performances…), le film est aussi riche en témoignages comme celui, intime et touchant, de sa mère Frances Milstead quelques mois avant sa mort. Seul bémol, I Am Divine fait actuellement la tournée des festivals outre-Atlantique, sans qu’aucune sortie en salles ne soit prévue. Espérons que la sortie en DVD/VOD permettra à tous les amateurs de mauvais goût de découvrir ce doc indispensable.

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Vendredi 22 mars

Ce soir-là, voyage dans les bas-fonds du Japon avec un Triple Bill dédié au monde éprouvant de la prostitution. Avec Gate of Flesh (Seijun Suzuki, 1964) et Secret Chronicle: She Beast Market (Noboru Tanaka, 1974), l’érotisme n’est qu’un prétexte pour décrire une réalité impitoyable, où les violences et les humiliations font partie du quotidien. Dans Gate of Flesh, un clan de jeunes prostituées rebelles gèrent leur commerce sans souteneur, mais cette liberté à un prix: ne jamais coucher gratuitement, au risque d’être frappée et exclue. Dans She Beast Market, une prostituée sur le déclin subit la concurrence d’une jeunette plus fraîche et plus appréciée, qui n’est autre que sa propre fille. Cruels et désenchantés, ces deux films montrent comment les réalisateurs de la Nikkatsu utilisaient les films érotiques pour innover formellement et traiter de sujets difficiles, sans faire de concessions.

Chacun des films de cette soirée possédait également un vrai background historique: le Tokyo post-1945 sous contrôle américain dans Gate of Flesh, la modernisation d’Osaka lors de l’exposition universelle de 1970 dans She Beast Market, et enfin, les émeutes du riz en 1918 dans World of Geisha (Tatsumi Kumashiro, 1973). La description du monde des geishas dans ce dernier film ne peut que ravir les amoureux du Japon traditionnel, bien que les célèbres dames de compagnie n’étaient pas censées s’engager dans la prostitution. Bien moins politique que le reste du programme, World of Geisha est du coup le film le plus érotique des trois, le raffinement de la geisha étant déjà en soi d’une troublante sensualité. Notons que ces trois séances étaient bien entendu présentées par Jasper Sharp, dont l’épais ouvrage Behind the Pink Curtain était opportunément disponible à l’occasion de cette soirée.

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Samedi 23 mars

Une dernière soirée en compagnie des marginaux et des hors-la-loi japonais. On fait d’abord connaissance avec le trio de délinquants juvéniles de The Warped Ones (Koreyoshi Kurahara, 1960), qui ne respectent rien ni personne et veulent le faire savoir. Tout le monde en prend pour son grade dans ce film tendu et radical: les intellectuels, le mariage, la bourgeoisie, l’art… Sans honte ni regrets, ils enchaînent les méfaits, provoquant le trouble chez le spectateur qui ne sait plus s’il doit admirer leur rébellion ou haïr leurs bêtises. Point commun avec le second film de la soirée: la musique d’inspiration étrangère. C’est en effet au son du jazz afro-américain que le personnage principal de The Warped Ones a l’habitude de se détendre dans un bar. Avec A Colt Is My Passport (Takashi Nomura, 1967), on se croirait plutôt dans un western-spaghetti mis en musique par Ennio Morricone. Rien de plus normal, puisque le film est un représentant du genre Borderless Action. Ici, pas de sentiments superflus: le film se concentre presque entièrement sur les règlements de compte entre des yakuzas et un tueur à gages. S’il est impossible de percer le visage de l’acteur Joe Shishido, son professionnalisme froid a quelque chose de fascinant, en plus de nous offrir un final aussi mémorable qu’explosif, au sens propre du terme.

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Lucas Godignon (stagiaire)

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