Amadou & Mariam, Fela Kuti: questions africaines

WORLD | Le nouvel album d’Amadou & Mariam abuse de l’occidentalisation pop alors qu’un vieux Fela live de 1986 refait bouillir l’intransigeante marmite vaudou. Y a pas photo.

Amadou & Mariam, Folila, distribué par Warner. **

Fela Kuti, double Live in Detroit 1986, distribué par Strut Records. ****

Depuis le début des années 2000, Amadou et Mariam se sont peu à peu installés sur le marché world comme antidote coloré aux humeurs anxiogènes de l’Occident. Une musique festive aux paroles simples -et même naïves-, du soleil mélodique et une paire de belles voix incarnant le couple malien. Facteur supplémentaire: ces quinquas (1954 et 1958) sont non-voyants, d’où un bonus de sympathie paternaliste vis-à-vis d’anciens pauvres du Tiers-Monde aujourd’hui plébiscités par Damon Albarn, Coldplay ou U2. Depuis Dimanche à Bamako, en 2004, le succès commercial est également au rendez-vous. Ce long préambule pour arriver à l’actuel Folila, qui en langue bambara veut dire ‘musique’: le problème, justement, est là. Pas dans la qualité des harmonies vocales ou des éclats de guitare d’A&M, mais dans tout ce qui est autour et s’invite abondamment. Le « gros son » d’abord, gonflé à coups de choeurs pneumatiques en anglais et couches multiples d’instrus, les guests ensuite. Clairement, la présence de Jake Shears (Scissor Sisters), TV On The Radio ou Santigold semble davantage destinée à consolider l’impact du duo sur le marché anglo-saxon qu’à instiller un surplus d’âme ou de créativité. Quitte à ce que l’identité finale d’A&M se délite dans une variété-pop internationale luxueusement produite entre New York et Bamako. Autre élément perturbateur: la présence vocale de Bertrand Cantat sur pas moins de quatre titres où il s’empare de textes qui sonnent de façon plutôt ridicule dans sa bouche, particulièrement dans Africa mon Afrique: « L’Afrique est un joyau/Pour nous tous, le berceau/Sur tout le continent, son coeur est palpitant »… Amadou & Mariam? Pas sûr qu’il en reste tellement ici.

Coutures afro-funk

Par contre, le Live In Detroit 1986 restitue l’intégralité de la musique de Fela, incorruptible et shamanique, goinfre et hypnotique. Devant les 5000 spectateurs du Fox Theatre d’un Detroit en pleine désindustrialisation, la musique du Nigérian et de son big band Egypt 80 semble vitale, autonome et particulièrement dopée par un afro-jazz thermonucléaire. Surtout, elle se met à l’abri du temps occidental -les quatre titres durent une demi-heure ou plus-, Confusion Break Bones pointant à près de 41 minutes. Les cuivres bouillants jutent, les choristes couinent obsessionnellement et Fela, entre orgue et sax, remâche d’infinies diatribes qui seraient bibliques si Jésus était dictateur africain ou grasse multinationale aspirant les ressources du Black Continent. Le climax surgit au premier morceau du second CD, Teachers Don’t Teach Me Nonsense, dont les coutures afro-funk se dilatent sous la pression de l’incroyable soubassement rythmique. Pas une musique qui se serait malencontreusement délavée au contact d' »invités », ça c’est sûr.

Philippe Cornet

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