Serge Coosemans

Ladies Nights, ce droit fondamental à la bêtise néanderthalienne

Serge Coosemans Chroniqueur

Illégales dans plusieurs états américains et prêtant à bien des discussions au Royaume-Uni où on les accuse d’être discriminatoires, les Ladies Nights restent une pratique à défendre, selon Serge Coosemans, qui pourtant les trouve parfaitement stupides. Sortie de Route, S03E2

C’est peut-être une idée exploitable par Joëlle Milquet, histoire de générer un bon gros buzz humaniste. Ou par n’importe quel autre politicien en campagne tenté par un peu de « chipotage bureaucratique » ainsi que par un « manque total de bon sens et de jugement sûr », pour reprendre les termes utilisés il y a 10 ans par James McGreevey, alors gouverneur du New Jersey. C’était en 2004 et on venait de rendre illégales à échelle de son état les Ladies Nights, ces soirées de promotion, notamment en discothèques, où les filles entrent souvent gratuitement pour s’y faire rincer à demi-prix. Un truc vieux comme l’invention du nightclub (1886, tout de même), basé sur l’idée bien beaufisante mais pour ainsi dire scientifiquement avérée que dans un lieu attirant une clientèle majoritairement hétérosexuelle, c’est nettement mieux pour l’ambiance de caliente du slip et bénéfique pour le petit commerce qu’il soit bondé de gonzesses complètement pétées..

Pour certains, c’est surtout parfaitement discriminatoire et c’est bien pourquoi ce type de pratique a finalement été déclarée illégale dans plusieurs états américains, dont la Californie, le Maryland, le Wisconsin et la Pennsylvanie (le New Jersey semble être entretemps revenu à davantage de tolérance).

Intrusion étatique aussi ridicule que grave dans un aspect bénin de la vie américaine ? Grande victoire du politiquement correct au détriment de la liberté d’entreprise ? Belle avancée vers une société moins discriminatoire et davantage de respect et d’égalité entre les genres ? Les avis restent d’autant plus partagés que toutes ces procédures et toutes ces décisions de justice ont souvent gardé un petit côté loufoque. En Californie, par exemple, la loi a été promulguée à la suite d’un procès ayant opposé un type à un carwash qui pratiquait une Ladies Night par semaine, précisémment le soir où le gars voulait nettoyer sa voiture alors que le tarif était plus cher pour les hommes. Le satiriste Stephen Colbert a de son côté pas mal moqué un avocat du nom de Roy Den Hollander, qui a fait de l’interdiction des Ladies Nights une véritable croisade personnelle, motivée par un antiféminisme plutôt radical mais aussi très folklorique.

Ridicule et typiquement yankee ou pas, depuis le passage de l’Equality Act en 2010, le problème de l’illégalité des Ladies Nights se discute également au Royaume-Uni. La loi britannique entend elle aussi combattre les discriminations et une discothèque étant en Angleterre perçue comme un « fournisseur de services », certains estiment qu’il n’est pas légal pour un tel prestataire d’offrir un meilleur service aux femmes, surtout quand on les fait par exemple entrer à l’oeil alors que leurs compagnons sont délestés d’un droit d’entrée avoisinant les 20£. Au-delà des idées féministes, contre-féministes ou politiquement correctes, il s’agit ici plutôt d’un argument strictement économique. Les établissements offrent des tarifs avantageux aux femmes mais ce n’est en rien un cadeau, car ce sont les hommes qui payent le manque à gagner en déboursant plus que d’habitude. Tous n’y voient pas forcément un inconvénient. Comme l’illustre un passage du reportage de Colbert, le surtarifage de la chope vaut pour certains largement la possibilité de choper. Dans les pays de l’Est, le concept des Ladies Night est même poussé plus loin encore : le soir où les femmes boivent pas cher, pas un seul homme n’est accepté dans l’établissement avant minuit. Autrement dit, il n’y a pas à tortiller : quand des gérants de bars et de nightclubs encouragent leurs portiers à laisser entrer les filles gratuitement pour les inciter à la saoûlographie, certes consentie et joyeuse, celles-ci sont en fait utilisées comme des entraîneuses au rabais, qui vont ensuite encourager les mecs à flamber pour tenter de les séduire. Tout ça se passe entre adultes consentants et ça peut même être très marrant donc je ne vois aucune raison autre que scrogneugneuse de l’interdire mais… je pense tout de même qu’il s’agit là d’une pratique de tout gros pignouf de compétition. Une attraction assez similaire dans l’esprit aux concours de miss t-shirts mouillés, catch à poil dans la confiote, soirées pyjama, présence de Nabilla dans la VIP Room et autres lancers de nains, encore que les lancers de nains…

Péteux totalement assumé, je rejette l’idée d’une Ladies Night parce qu’il s’agit bel et bien d’une offense à mon sens esthétique doublée d’un insulte à mon intelligence culturelle. C’est une activité de Néanderthalien de dancefloor, qui me semble émaner d’un monde noctambule d’une autre époque, celle où la majorité des discothèques descendaient des baraques foraines et n’avaient pas encore été le berceau d’une forme ou l’autre de contre-culture. Cela dit, vu que le combat législatif contre les Ladies Nights semble le plus souvent émaner de résidus de capotes d’Eric Zemmour, pif pouf le genre de phallocrates qui se désole que la société devienne trop androgyne et tente de dézinguer les avancées du féminisme en appliquant jusqu’à l’absurde le principe d’équité, il me semble aussi primordial, si jamais un jour menacées sous nos latitudes, que les Ladies Nights se défendent avec ferveur et pas qu’au nom d’une ristourne sur la biture; aussi parce que je pense que la bêtise se guérit par l’éducation et non via l’interdiction. C’est aussi pourquoi je vous saurai gré de ne pas transmettre cette chronique à Joëlle Milquet, merci.

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