Epiciers + ronron + relativisme = démotivation (le compte est bon)

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Toute la semaine, Serge Coosemans a réceptionné les nombreuses réactions suscitées par sa chronique de lundi dernier (Bruxelles dépassée par Paris, la honte…), son plus gros buzz à ce jour. De quoi donner l’envie à l’animal d’en rajouter une couche et de répondre point par point aux détracteurs. Sortie de route, S03E22.

(Relire la chronique « Bruxelles dépassée par Paris, la honte… »)

Un troisième Summer of Love à Paris? Et alors, Fieu?

Evoquer l’idée que se tramait à Paris un troisième Summer of Love était bien sûr une grosse provocation de ma part, un bon bloc de béton armé jeté dans la mare stagnante bruxelloise. Il me semble toutefois évident que le jour où adviendra un troisième Summer of Love, ce ne sont pas les promoteurs de concerts, les organisateurs de soirées, les médias et le marketing qui décideront de l’endroit et de l’heure où il aura lieu. Authentique, spontané, pas prévu, le mouvement surgira de l’underground et sera selon toute vraisemblance dans un premier temps nié ou décrié par l’establishment des loisirs, qui n’y verra qu’une mode passagère, du manque de professionnalisme, au mieux quelques idées à récupérer. Un mouvement d’ampleur, on sait comment ça commence: presque par hasard, presque dans le secret. Bonne musique, bon public, bonne drogue, bons lieux et de là, découlent ensuite éventuellement la sous-culture qui va avec, le phénomène social, le business et la récupération. Un Summer of Love ne se prédit dès lors pas, il se constate plutôt lors de la gueule de bois de l’automne qui suit. Est-ce au tour de Paris? Sans doute que non. Il n’en demeure pas moins que ce qui se mijote aujourd’hui dans la techno et le rock à Paname, ce sont des étincelles qui pourraient très bien prochainement embraser la sécheresse ambiante. Ou pas? Who cares, du moment que c’est excitant à vivre et/ou à suivre…

Bruxelles brûle-t-il?

En ce moment, à Bruxelles, je ne vois pas beaucoup d’étincelles semblables. Je vois surtout des braises. Ce n’est pas qu’il ne se passe rien, c’est que notre nuit se chauffe à un feu de confort, entretenu par beaucoup trop de pompiers et pas assez de pyromanes. Du point de vue des organisateurs, les choses roulent plus ou moins bien: l’offre est variée, régulière, le public suit, it’s business as usual. A vrai dire, en publiant la semaine dernière cette chronique, je m’attendais à me voir raillé et démolir par les organisateurs bruxellois mais il n’en a rien été. Au contraire, beaucoup d’entre eux m’ont donné plus ou moins raison. Pas sur tout mais sur le principal: en ce moment, à Bruxelles, la nuit, l’état d’esprit n’est pas bon. C’est cyclique. Ca s’en va, ça revient, personne ne s’en inquiète vraiment. Personne ne se l’explique vraiment non plus.

Certains attribuent cela aux règlements de plus en plus farfelus des autorités, à la crise économique, au switch générationnel de la clientèle, à trop d’offres pour un si petit territoire… Sans que personne ne réponde à la question de façon certaine et définitive. Ce qui génère bien des flottements et des doutes.

Génération Vieux Con

Moi, par exemple, j’ai 44 ans et j’en viens à me demander si, au fond, mes goûts correspondent encore à la façon dont se consomme aujourd’hui la musique et la fête? Post-punk, new-wave, electro et techno furent de grands emballements internationaux où tout le monde voulait voir jouer les mêmes poignées d’artistes, parce qu’ils étaient différents du reste, à part, meilleurs. Pour ce faire, il fallait souvent bouger. Si motivé, sans même parler de trips à l’étranger et en Flandres, cela ne m’a jamais dérangé d’attendre des trams durant des plombes, de m’embrouiller avec des taximen, de traverser des quartiers inconnus, de marcher, rouler ou pédaler pour aller à une fête ou à un concert. Sans savoir au préalable comment en revenir. Cela tient de l’expédition et l’expédition a toujours fait partie du truc, a toujours participé à l’excitation autour du truc. On me dit qu’aujourd’hui à Bruxelles, les noctambules, toutes générations confondues, rechignent à franchir le Canal ou à sortir 500 mètres de l’Agglo pour rejoindre un entrepôt le long du Ring où le boucan et la foule ne gênent pourtant personne. Je ne vois qu’une seule explication à ce phénomène: le manque de motivation.

Motivéouté?

Ce n’est pas sorcier, dans la sphère culturelle qui nous occupe, je pense que c’est surtout en relativisant que l’on perd toute motivation. Un détracteur de la chronique a sorti sur Facebook qu’à Bruxelles, il y a en fait plein d’endroits où sortir: Fuse, You, Wood, Jeux, Patinoire, Bazaar, Bloody Louis, Mister Wong, Madame Moustache, Fiesta, Recyclart, Spirito, MartiniBar, Mirano, Bulex, Café Bota, Pias Nights, Rooftop Play Label, Fête de l’Iris, Fête du Progrès, Gay Pride, Bruxelles Jardin, Piknik Elektronik, etc… C’est vrai, ça fait beaucoup, d’autant qu’il y a plus encore, mais est-ce que tout cela se vaut? Quel habitué du Fuse irait par exemple se perdre au Spirito? Que sont les Pias Nites sinon une beauferie d’énième festival urbain? What the fucking fuck, les Jeux? Sur cette liste, il y a selon moi beaucoup trop de Macumba Clubs. Avancer que tous ces établissements se valent, qu’il y a de la qualité chez chacun, ce n’est pas faire preuve d’un esprit ouvert, c’est mettre en veilleuse son esprit critique, c’est se contenter de provincialisme, c’est relativiser. Les Parisiens dont je parlais la semaine dernière ne se contentent pas du tout-venant, d’un erzats de deejay connu, d’une soirée à house-music générique. Ils se déplacent pour une musique et une ambiance précises, promises par des artistes précis, jusqu’ici rares, qui font sortir la nuit locale de son ronron habituel. Ca change drastiquement du deejaying de proximité, de faire jouer le cousin plutôt que l’Américain, vu que le cousin a les mêmes tracks, la même moustache et les mêmes softwares pour mixer. Les bons comptes font les bons épiciers et les bons épiciers font vivre le petit commerce. Seulement, moi, j’ai un autre calcul quand on en vient à parler petit commerce: épiciers + ronron + relativisme = démotivation. Voilà tout. Goodnight, Brussels.

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