Avignon 2013: « IN » of Africa

Qaddish © Christophe Raynaud de Lage
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

La mémoire, la mort, le rêve, la corruption, la réconciliation : la 67ème édition du Festival d’Avignon a le « moove  » africain enfin d’égal à égal.

Nous étions en manque d’une scène contemporaine programmée  » out of Occident « . Avignon nous offre ce décentrage. La 67ème édition du célèbre festival a été co-construite avec un jeune artiste made in Africa: Dieudonné Niangouna (Congo Brazzaville).

Les découvertes seront nombreuses: Qudus Onikeku, DeLaVallet Bidiefono, Mamela Nyamza, Artistide Tarnagda… et avec eux, une flopée de comédiens, danseurs et musiciens blacks. D’égal à égal avec les artistes européens comme Thomas Ostermeier, Anne Teresa de Keersmaeker, Krzysztof Warlikowski, Jan Fabre, Jerôme Bel, Falk Richter ou encore Stanislas Nordey, le deuxième artiste associé de la programmation.

Avignon 2013 montre que la jeune scène africaine – avec des créateurs de moins de 40 ans – situe son propos dans le post-colonial, et l’actuelle complexité du monde, piquant au détour les chefs d’Etat africains

Shéda: zone de ruines

Auteur, acteur, metteur en scène, Dieudonné Niangouna (37 ans) a propulsé dans la superbe carrière de Boulbon son épopée de 5h avec une troupe mixte. Sur scène, le chaos: pneus crevés, lac minable, vraie chèvre, carcasse de voiture, faux crocodile géant… Une scénographie pertinente (mais classique) pour Shéda, titre bricolé, pouvant être rattaché à Sheta (démon) et Shida (affaire bizarre). Le spectateur assiste à un drôle d’enfer sur terre. L’atmosphère est au  » nulle part, après la catastrophe », avec des âmes errantes sauvages. Si le voyage a le goût de l’épique avec des tirades follement acides ( » on n’a pas besoin de sentiments, battons-nous, que le 1er qui crève gagne « , « on se bat pour disparaître, ne soyez pas désolé à notre place  » ou encore « on se fera baiser le cul par la liberté, ce mot importé « ), l’ambitieux spectacle est resté bloqué dans le brouillon, sans réelle dramaturgie.

Sheda sent le carnet de notes interminables d’un artiste qui mûrit son projet depuis 2001. Niangouna, excellent comédien, s’est coincé, comme metteur en scène, dans le miroir de son propre texte. Comme d’autres spectateurs, on s’est cassé à l’entracte mais, on reviendra à Niangouna, touché par son écriture coup de poing.

Qaddish : qui vive ?

 » La mémoire de mon père comme prolongation de mon corps  » est l’étrange prière du danseur-chorégraphe nigérian Qudus Onikeku, formé au ballet de son pays et à diverses disciplines (cirque, capoeira, etc.), notamment en France. Parti dans son village natal avec son père, le danseur s’inspire de la tradition yoruba pour créer son langage contemporain. Une heure de raffinement. Une danse contemporaine esquissée dans un traditionnel africain, nourri dans l’improbable : guitare basse, soprano, griot et vidéo. La quête est poétique même si la parole frôle parfois des messages mièvres: « Harmonie, Paix, Sagesse « , ou encore « Tomber, c’est Danser, trébucher, c’est danser «  s’inscrivent en grand sur l’écran.

Drums and digging : sortir de l’impasse

Faustin Linyekula (R.D. Congo), habitué des scènes flamandes et du Kunsten, a présenté sa nouvelle création Drums and digging. Pas de sermons mais des questions. Lui aussi s’est ressourcé dans son village natal. « Je ne veux plus raconter des histoires de ruines, de nègres qui crèvent » annonce le conteur avant qu’une procession se forme, sur une musique tribale, voix et percus de son village.

Là encore, dans la danse contemporaine se glisse la danse traditionnelle entrecoupée d’histoires, notamment des rêves de Mobutu à la fontaine au lion, au fil des grands travaux du Zaïre. La petite oeuvre est simple et touchante mais un peu sommaire. Drums and Digging, un des deux spectacles retransmis en télé (sur Arte) sera à l’affiche du festival TAZ d’Ostende (en août), ainsi qu’au KVS à Bruxelles et au Stuk de Louvain en mars 2014.

19 Born-76 Rebels : cicatrices d’Apartheid.

Décidément, la scène sud africaine est talentueuse et engagée. La preuve par la chorégraphe-danseuse Mamela Nyamza et la comédienne Faniswa Yisa, nées en 1976, l’année des émeutes de Soweto. Elles débarquent sapées plus chic l’une que l’autre, jouant dans un duo fin sur… l’arrogance et l’infériorité. En fond sonore, un débat radiophonique très BBC  » South Africa is a challenge ».

Epinglant les discriminations faites aux Noirs, avant 1991, sur l’accès aux études, elles finiront en écolières noires, le poing levé, narguant de front les aboiements de deux bergers allemands. En 30 minutes, le condensé politique et artistique est incisif, rappelant que, malgré les apparences, les cicatrices sont toujours ouvertes, entre les Blancs et les Noirs. Une artiste  » coup de coeur  » à pister cette année au festival d’Automne à Paris.

La Fin du western

Difficile de ne pas avoir un spectacle sur la corruption. Le Cie berlinoise Gintersdorfer/Klassen (passée par le Kaaitheater) travaille depuis quelques années avec des comédiens de la Côte d’Ivoire. Dans La Fin du Western, ils plantent un duo s’arrachant la présidence : Gbagbo contre Ouattara. Une petite heure truculente sur le thème des…  » résultats des élections ». « Chez nous tout le monde gagne ! Faites comme la Côte d’Ivoire, des élections où il n’y pas de perdants « , où les tensions, c’est la cause du diable et la « réconciliation « , le mot fétiche. Beaucoup de choses sont dites sous des dehors de cour de récréation.

Au delà du continent africain qui s’inscrit dans l’oeuvre, on rencontre avant tout des artistes dans leur singularité : théâtre du cri pour l’un, voyage dans la mémoire du corps pour l’autre, performance politique pour tel autre. Tout n’est pas parfait- ce n’est pas le but de l’art – mais leurs propos artistiques sont assez neufs pour qu’on s’y attache.

A Avignon, cette année, on a préféré recharger les batteries avec ces nouvelles signatures, certaines déjà  » fétiches « .

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