Comment Agatha Christie a influencé Michel Houellebecq

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Michel Houellebecq, l’auteur de « La carte et le territoire », prix Goncourt 2010, a souvent rendu hommage à Agatha Christie. Il s’explique dans le hors-série du magazine Lire consacré à Agatha Christie.

A la question: « Qu’avez-vous lu pendant que vous écriviez La possibilité d’une île? », Michel Houellebecq répondait à Jérôme Garcin, en 2005: « Les romans d’Agatha Christie, bien sûr ». Nous l’avons interrogé à ce sujet et l’écrivain nous a répondu: « Je n’ai pas l’impression de pouvoir dire grand-chose de plus sur Agatha Christie que ce qui se trouve déjà dans mes livres. Il faut dire que ça s’est bien passé avec Agatha Christie, pour moi. »

Son intérêt pour la reine du crime est ancien. A la parution de Plateforme, en 2001, on a surtout retenu la polémique sur le tourisme sexuel, sans faire attention aux pages 102 à 105, consacrées à… Agatha Christie. Valérie, l’un des personnages, recommande la lecture du Vallon au narrateur. Suit une analyse éclairante de ce livre, considéré par beaucoup, dont l’auteur des Particules élémentaires, comme le chef-d’oeuvre d’Agatha Christie.

Il a apprécié, en artiste, « l’ambitieux personnage d’Henrietta, la sculptrice, à travers laquelle Agatha Christie avait cherché à représenter, non seulement les tourments de la création (la scène où elle détruisait l’une de ses statues, juste après l’avoir difficilement achevée, parce qu’elle sentait qu’il manquait quelque chose), mais la souffrance spécifique qui s’attache au fait d’être artiste: cette incapacité à être vraiment heureuse ou malheureuse; à ressentir vraiment la haine, le désespoir, l’exultation ou l’amour; cette espèce de filtre esthétique qui s’interposait, sans rémission possible, entre l’artiste et le monde ». Et le connaisseur de conclure : « La romancière avait mis beaucoup d’elle-même dans ce personnage, et sa sincérité était évidente ».

Pour lui, l’intérêt du Vallon est cependant ailleurs, dans « le subtil équilibre de désirs inassouvis » entre Midge, « passant ses week-ends au milieu de gens qui n’avaient pas la moindre idée de ce que représentait un travail », et Edward qui, « lui, se considérait comme un raté: il n’avait jamais rien pu faire de sa vie, même pas devenir écrivain ».

L’auteur de Plateforme (ou le narrateur?) semble s’identifier à ce personnage de loser décrit par Agatha Christie: « Edward comprenait enfin qu’Henrietta ne pourrait jamais vouloir de lui, qu’il n’était décidément pas à la hauteur de John; pour autant il ne parvenait pas à se rapprocher de Midge, et sa vie semblait définitivement gâchée. C’est à partir de ce moment que Le vallon devenait un livre émouvant, et étrange; on était comme devant des eaux profondes, et qui bougent. Dans la scène où Midge sauvait Edward du suicide, et où il lui proposait de l’épouser, Agatha Christie avait atteint quelque chose de très beau, une sorte d’émerveillement à la Dickens ».

Qu’en pense Houellebecq aujourd’hui, dix ans après avoir écrit ces lignes? « De mémoire, dans Plateforme, Valérie assimile le personnage principal à Edward; quand elles commencent à tomber amoureuses, les femmes peuvent comprendre ce genre de choses ».

L’analyse de l’auteur d’Extension du domaine de la lutte ne s’arrête pas aux soubresauts du coeur. A ses yeux, Agatha Christie est « foncièrement conservatrice, hostile à toute idée de répartition sociale des richesses » mais se montre « souvent assez cruelle dans la description de cette aristocratie anglaise dont elle défendait les privilèges ». Ainsi, lady Angkatell, la châtelaine du Vallon, est « un personnage burlesque, à la limite du vraisemblable, et parfois presque effrayant ». Il parvient à se glisser dans la peau d’Agatha Christie quand il écrit, toujours dans Plateforme: « La romancière était fascinée par sa créature, qui avait oublié jusqu’aux règles qui s’appliquent aux êtres humains ordinaires; elle devait s’être beaucoup amusée à écrire des phrases comme: « C’est tellement difficile de faire vraiment connaissance quand on a un meurtre à la maison ». »

Doyle plus que Christie

En somme, Houellebecq lecteur ne cesse de réfléchir en écrivain. Voilà pourquoi il juge, mieux que bien des critiques littéraires ou des universitaires, l’oeuvre d’Agatha Christie comme purement littéraire, et nous demande de le souligner: « Je traite ces livres « de genre » exactement comme des ouvrages de littérature générale. Ce qui n’est pas le cas des spécialistes, qui ont d’autres critères, essentiellement l’ingéniosité de la solution proposée, dans le cadre des règles du roman de détection. Ça n’a pas toujours été le cas. Il m’est arrivé, dans ma jeunesse, de lire des Agatha Christie en cherchant à deviner le coupable. Le pire est que je n’ai pas encore réussi à rendre hommage à Conan Doyle, que je préfère largement à Agatha Christie, que j’aime autant que Lovecraft à vrai dire. »

Il y a de la cohérence dans ces propos en apparence contradictoires. Car Agatha Christie n’a cessé, dans ses romans, de rendre hommage au père de Sherlock Holmes.

Certains ont cru voir un « pastiche » d’Agatha Christie dans un chapitre de La carte et le territoire, le nouveau roman de Michel Houellebecq. Ou serait-ce un pastiche de Conan Doyle? Réponse de l’intéressé: « Non, ni l’un ni l’autre. J’ai aussi lu pas mal de romans policiers plus récents (américains, français, suédois…) et il ne me serait pas simple de démêler mes influences. »

Tristan Savin

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