Festival Emulation, nouvelle vague

Des gouttes sur une pierre brûlante de Caspar Langhoff © Little Big Horn
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Les jeunes compagnies ont désormais leur place au théâtre. Une mode qui tombe à pic: ces artistes « ready-made » ont du talent, transgressant naturellement les genres. Du « réalisme capitaliste », écrit Ostermeier.

Avec la biennale Emulation, le Théâtre de la Place, à Liège, zoome sur la jeune création « Wallonie-Bruxelles ». Une 5e édition, en cinq spectacles et cinq lieux liégeois. L’occasion de mieux comprendre ce type de théâtre émergent, phénomène européen, puisque chaque théâtre défend désormais son jeune créateur et son festival: Emulation, Pépites & Co, Nouvelles Vagues, etc. Chez nous, côté artistes, on peut citer Fabrice Murgia, Anne-Cécile Vandalem, Galin Stoev, Selma Alaoui, Claude Shmitz, Antoine Laubin, Peggy Thomas, Raoul Collectif, entre autres. « Il y a un phénomène de mode autour des jeunes créateurs, parfois à peine sortis d’école, reconnaît Serge Rangoni, organisateur du festival Emulation. Toutefois, on les accompagne sur le long terme. Galin Stoev, prix Emulation 2005, avec Oxygène, a été suivi dans ses autres créations. Aurore Fattier, passée par Emulation, présentera son nouveau spectacle, la saison prochaine. Au-delà du phénomène, il faut encourager ce renouveau sans cantonner ces jeunes dans leur label. »

Cette mutation est épinglée début 2000, par le critique allemand Hans-Thies Lehmann dans Théâtre postdramatique, où le texte, délivré du drame, devient écriture de plateau et récit fragmenté. La génération 2.0 s’est ainsi libérée du texte traditionnel, devenu un matériau au même titre que le son ou l’image, usant sans complexe du matériel qu’il veut. Les années 2000 nous ont happés dans cette jeune création aux allures expérimentales pouvant mélanger Shakespeare, American Psycho, Le Mépris, un discours politique, YouTube, une réplique en SMS dans le même shaker. L’interprète devint metteur en scène-auteur, bidouilleur artistique, pouvant filmer en direct, chipoter une console, brancher son ordi. Notre théâtre contemporain est né, certes, mais sur l’héritage des anciens. Car le « texte-matériau » qui refuse la psychologie des personnages est une révolution ancienne, acquise et révolue. « Théâtre de texte, écriture de plateau, performance, tout se confond, souligne Serge Rangoni. Les artistes passent de l’un à l’autre, les oppositions esthétiques sont quasi absentes. Il est plus difficile de se définir quand tout est ouvert, avec en plus une concurrence de projets de plus en plus nombreux. Mais la nouvelle génération va de pair avec de nouveaux spectateurs et de nouveaux journalistes. »

Oui, mais

Dans le Monde Diplomatique d’avril, Thomas Ostermeier, metteur en scène-directeur de la Schaubühne de Berlin pousse un coup de gueule: « Les artistes, dit-il, doivent relever un immense défi: donner, génération après génération, un sens nouveau au théâtre institutionnel. Plutôt que l’apologie de l’esprit du temps: nous vous offrons plus d’art pour moins d’argent. Le « théâtre libre » présente un double avantage: son appellation évoque la jeunesse et l’insoumission tandis qu’il se prête à des financements d’une extraordinaire souplesse, avec une poétologie d’avant-garde affadie qui repose sur l’idée que notre expérience fragmentée du monde ne trouve sa traduction que dans un théâtre lui-même morcelé, affirmant au spectateur que ce monde chaotique restera indéchiffrable, et qu’il n’y a donc pas lieu d’y chercher des liens de causalité ou des coupables. Ce « réalisme capitaliste » esthétise une idéologie victorieuse. Et le théâtre traditionnel, en se focalisant sur le répertoire classique, s’est déconnecté de la réalité. Au sein de cette spirale descendante, le pacte qui lie le théâtre aux enjeux politiques et sociaux de son temps se délite inexorablement. » Ostermeier n’a pas tort de tirer la sonnette d’alarme, lui qui vient d’une époque clairement politisée. Pourtant, la jeune création n’est pas unidimensionnelle. Certains -à travers un théâtre fragmenté ou épique- réussissent à nous questionner sur le désarroi d’une époque, avec un engagement politique, même dilué.

FESTIVAL EMULATION, À LIÈGE, DU 19 AU 27 AVRIL, WWW.THEATREDELAPLACE.BE

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