Critique | Cinéma

[Critique ciné] Les chevaux de Dieu

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Nabil Ayouch revient sur les attentats de Casablanca, en mai 2003, et s’emploie à donner un visage à leurs auteurs, gamins sans autre perspective que le marasme.

Tout commence par un murmure, dans la nuit: « Elle pensera quoi, Ghislaine, quand elle apprendra que je suis mort en martyr? » L’auteur de la réflexion se nomme Tarek, mais tout le monde l’appelle Yachine, comme le mythique gardien de but soviétique. Et lorsqu’on le découvre, quelques années plus tôt, à la lumière, il n’est qu’un gamin parmi ceux de Sidi Moumen, le bidonville de Casablanca, partageant son temps entre le foot, les copains, la débrouille et une famille fragilisée -sa mère, son père dépressif, un frère parti à l’armée, un autre autiste et le troisième, Hamid, petit caïd du quartier le couvrant de son aile protectrice, qu’un « exploit » de trop expédie toutefois en prison.

Quand il en ressort quelques années plus tard, le 11 septembre est notamment passé par là, et Hamid, pour sa part, est transformé, s’étant racheté une conduite en ayant endossé les habits de l’islamisme radical. Avec ses « frères », le voilà qui va bientôt faire voeu de prosélytisme, s’employant à enrôler Yachine et ses potes, tels Nabil et Fouad, livrés à eux-mêmes sans guère plus de perspectives que le marasme et la misère; cibles d’autant plus faciles que sans véritable conscience des enjeux, là où le groupe islamiste sait leur offrir un cadre qui faisait jusqu’alors défaut. Et les ados de mettre le doigt dans un engrenage qui les dépasse…

La mécanique d’un embrigadement

Avec Les chevaux de Dieu, Nabil Ayouch (lire son interview) retrouve Sidi Moumen, le quartier où il tournait, en 1999, Ali Zaoua, le film qui allait le faire découvrir. Le contexte a changé, toutefois, et si le réalisateur a choisi de retourner dans le bidonville, c’est parce que les auteurs des attentats terroristes qui frappèrent Casablanca, le 16 mai 2003, en étaient tous originaires. S’adossant au roman Les étoiles de Sidi Moumen, de Mahi Binebine, Ayouch envisage la tragédie sous son angle humain, s’employant à donner un visage aux kamikazes, qu’il se garde de juger comme de justifier, tout en s’intéressant à la mécanique de leur embrigadement. La réussite de l’entreprise tient notamment à l’angle adopté, à hauteur de ces gamins précisément -des acteurs non professionnels débordant de vérité-, dont Les chevaux de Dieu donne à partager le quotidien, et leur glissement vers une cause fanatique qui leur échappe pour bonne partie. Destins individuels que le réalisateur inscrit par ailleurs dans une perspective plus large, touchant à la géopolitique internationale, où injustice et humiliation constituent aussi le terreau du ressentiment et du désespoir dont l’on fait ces futurs martyrs.

Les chevaux de Dieu évite cependant le didactisme pesant, pour s’en tenir, pour l’essentiel, à ces cheminements individuels incertains. La réflexion n’en est pas moins pertinente: en prise sur un réel complexe, le film de Nabil Ayouch n’en apparaît que plus fort et interpellant.

DRAME DE NABIL AYOUCH. AVEC ABDELHAKIM RACHID, ABDELILAH RACHID, HAMZA SOUIDEK. 1H55. SORTIE: 13/02. ****

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