Francofolies de Spa 2011: Joy, Peter Bultink et Keren Ann

© Philippe Cornet

Une éjaculation précoce serait la bienvenue pour joy, Peter Bultink joue devant 37 personnes et Keren Ann surjoue l’artiste. Le deuxième jour des Francofolies.

Au GMG Snack, on vend une panoplie de saucisses parmi lesquelles nous choisissons la « campagne », longue mandibule tiède qui promet un peu plus que ce qu’elle ne peut assumer. OK, la liaison est facile, mais c’est un peu comme Joy, justement en concert à une portée de ketchup des viandes recyclées, tout au fond du Village Francofou, au Dôme flanqué d’un patronyme bancaire. Joy est le groupe que Marc Huyghens présente depuis environ deux ans en public après avoir réussi (puis avorté) un début de carrière internationale avec Venus. Le présent trip implique Huyghens en chanteur-guitariste, accompagné d’une batteuse-chanteuse (Françoise Vidick) et d’une violoncelliste suédoise qu’on nous assure virtuose (Anja Naucler). Les chansons se font en anglais, débarquent un peu raides et militaires (Fantaisie militaire ?), corsetées dans une sonorité qui évoque un gros cumulus organique. Soit une forme de Mur du son grondant sur les accords acerbes du violoncelle et la voix incantatoire de Marc. Malgré la sympathie que l’on a pour la façon intime de ce dernier de mettre ses tripes à table -on le connaît depuis la période pré-Venus- reconnaissons que l’ensemble a une fâcheuse tendance au coïtus interruptus. Tout monte en graine en nous promettant un gros rush de testostérone -pour les garçons- mais finit plutôt en eau de boudin. A tout prendre, on préfèrerait l’éjaculation précoce. S’il te plaît Marc, ne te retiens plus!

Ce qui nous ramène à la saucisse de campagne et l’accent wallon du coin: voilà au moins un festival où l’on peut commander une bière en français sans se taper un regard NVA, des mini-drapeaux belges (…) étant même distribués par une radio bruxelloise. Mais pas de coq wallon fier brandi, plutôt une ambiance bon enfant où les spectateurs font décidément preuve de beaucoup de patience sous la pluie très 21 juillet. A l’autre bout de Joy, poliment applaudi, on veut se cogner la prestation de Peter Bultink, ex-chanteur de l’Orchestre du Mouvement Perpétuel, coco flamand ayant choisi la langue française…Il ne nous disait rien non plus jusqu’à ce concert aux mêmes Francos il y a trois ans où il fit grande impression au Casino. Là, Peter se produit aux Arcades, gratos en pleine rue, avec un bassiste et Serge Feys, multi-claviériste historique d’Arno depuis les prémisses TC Matic. Peter entame son numéro devant trente personnes égarées sur une place pouvant en contenir au bas mot, vingt fois plus. Pour faire court, avec son physique qui mélange le sourire démoniaque de Nosferatu et les pas de danse d’Arno (justement), Peter est un OVNI perdu dans un dédale de récitations poétiques à la Ferré et le tumulte rock. Voire electro-kitsch quand il se met en idée de reprendre l’Initials BB de Gainsbourg supplicié par un beat de cabaret 78 Tours qu’il enchaîne à une reprise mouillée de Relax, tube gay-cuir de Frankie Goes To Hollywood. Vu l’absence criante de public, 37 personnes à tout casser en fin de parcours, Peter se donne de remarquable façon, sans doute confiant dans l’humanité. Ce qui est très beau aussi, c’est quand son crâne glabre se met à fumer sous l’effet transpiration/spots chauds. On se croirait à la sortie du métro new yorkais ou, éventuellement, en Islande: il est temps de revenir sur nos premiers pas du jour.

Sous la tente qui abritait Joy deux bonnes heures plus tôt, mais davantage bondée, se produit Keren-Ann. Cela commence mal: madame KA ne veut pas être prise en photo. Explication: aucune. Mais c’est assez révélateur de sa personnalité: cette fille est douée au rayon musical mais plane sur elle, ce vieux corbeau déplumé de « Je suis une artiste, vous voyez, j’ai une vision« . En langage critique, on appelle cela le syndrôme Lou Reed. En belge, on dirait simplement qu’elle est stijf, un peu raide, malgré un goût musical certain, hérité du folk cosmique de Joni Mitchell et d’une déviance Gainsbourg poivrée de Velvet. Autrement dit, ce concert des Francos quelque part impressionnant -haut niveau de musicalité, répertoire comme interprétation immaculés- manque in fine de la volonté de livrer son âme avec tout l’abandon nécessaire, cette fausse gratuité qui fait passer du statut d’artiste blindé à celui d’icône vulnérable. Ce qui, on est bien d’accord, reste le comble du paroxysme et de la transmission… Alors là aussi, lâche-toi un peu Keren.

Philippe Cornet

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