Serge Coosemans

BX-Hell Underground (3) 1984-1996: Le Mirano des années Jean-Pierre Mels

Serge Coosemans Chroniqueur

DJ Kwak et Serge Coosemans partent cet été à la rencontre de figures s’étant dans un passé un peu oublié illustré au sein de différents undergrounds bruxellois. Le tout évidemment recouvert d’une bonne couche de zwanze.

Mirano
Mirano© DR

C’est comme dans les westerns italiens avec Clint Eastwood. Quand on parle aux quadragénaires et aux quinquagénaires jadis noctambules du Mirano, de ses « fameuses grandes heures », le monde se divise en deux catégories de gens. Ceux qui avaient le flingue, le style, la maille, se souviennent de trucs dont ils parlent toujours avec beaucoup d’émotion, « du jamais vu ailleurs », « des nuits comme on n’en fait plus », « une ambiance de dingues, digne de New York ». Les autres, qui n’étaient armés que d’une pelle pour creuser, continuent de creuser, à la recherche des raisons qui faisaient qu’entrer dans cette boîte pouvait être plus compliqué que de voler un coffre d’or dans un cimetière de l’armée confédérée. Vision de Blondin: c’était un véritable Studio 54 européen, le seul club belge avant le Boccacio et le Fuse à avoir eu les honneurs de la presse britannique. Une discothèque de prestige qui tranchait avec le provincialisme de la concurrence, l’une des antres internationales de Grace Jones. Un creuset de cultures de pointe. Vision de Tuco: une boîte très « péteuse » où il était surtout loisible de se faire bien humilier par les portiers (dont le fameux « Chinois »), la dame de cour (the one and only Mamy), le crew du bar (je les connais, on peut en rire) ainsi que le public pubard, principalement constitué de sosies du Professeur Décodor et de blondes habillées comme Sean Young dans Blade Runner.

La vérité est quelque-part entre les deux. Jean-Pierre Mels, à l’époque gérant, nous l’explique dans notre podcast de la semaine. Il nous raconte pourquoi avoir importé de Paris cette idée d’un physionomiste sélectionnant drastiquement les gens à l’entrée, chose alors inédite et quasi scandaleuse dans une nuit belge assez égalitaire, plus portée sur l’ivresse que le flacon. Pourquoi, selon lui (hors-micro), le MDMA et la house ont changé la façon qu’ont les gens de sortir, peut-être pas pour un mieux. Pourquoi cela reste magique de balancer sur une sono un vieux cha cha kitsch français, Mange des Tomates Mon Amour, au moment de la nuit où les gens s’attendent surtout à du tube qui dépote. Pourquoi il était important d’être au taquet, de dénicher les nouvelles tendances quelques mois à l’avance, et pourquoi c’est sans doute aujourd’hui impossible, avec Internet. Jean-Pierre Mels nous transmet et nous décrit un esprit, avec enthousiasme, sincérité, conscient de sa place sur l’échiquier noctambule, revendiquant même certaines paternités d’idées et pourtant, ni Blondin, ni Tuco, ne changeront sans doute d’avis par rapport au dossier.

C’est dans Last Night a DJ Saved My Life, formidable bouquin des journalistes anglais Bill Brewster et Frank Broughton que le génie du Mirano eighties est traqué et exposé hors de sa bouteille, faisant taire toute polémique. Brewster et Broughton citent quelques disques qui étaient régulièrement joués par Jean-Claude Maury, le DJ résident (aujourd’hui décédé) de l’ancien cinéma de la Chaussée de Louvain: Being Boiled de Human League, You Got The Stuff de Bill Withers, Der Arbeiter de Kowalski. De la new-wave à grosses basses, du funk drogué, de l’industriel au groove mécanique. Un mélange des genres qui était copié partout et quand on dit partout, ce n’était pas seulement aussi à Anvers, Courtrai, Gand et Liège. En fait, selon le bouquin, Maury passait pas mal de vacances à Ibiza et il y faisait écouter des cassettes à Alfredo Fiorito, le DJ du Ku et de l’Amnesia, autrement dit le type à qui l’histoire officielle des musiques électroniques attribue l’invention du style balléarique; soundclash déterminant sur l’évolution de la house britannique (Coldcut, S’Express, les soirées acid, les raves…). Bref, l’une des matrices des musiques d’aujourd’hui pourrait bien être le Mirano et ce n’est pas Mels ou n’importe quel stoefer d’époque qui l’avance mais bien une enquête musicale maniaque de deux spécialistes britanniques et God knows que les Rosbifs ont souvent difficile à admettre que tout ce qui fait danser le monde n’est pas né chez eux.

Inventif. Voilà le mot magique, voilà comment on peut surtout résumer le Mirano des années Jean-Pierre Mels. C’était péteux, c’était trash, c’était froid, c’était naze ou dément selon les goûts mais c’était surtout toujours inventif. Purée, ils ont même inventé le concept de danser avec ironie sur de la musique française complètement ringarde, en organisant en 1988 une soirée pour les 10 ans de la mort de Claude François, alors que tout le monde était à fond dans la new-beat et l’acid-house. On retiendra la leçon: toujours se remettre en question, toujours rester ouverts, toujours chercher l’inédit. Autant dire tenir le flingue ET la pelle. Creuser pour soi et pas sous la menace. Un bien beau manifeste d’indépendance.

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