Dimanche sans voiture: En ce jour de Fête des Fous, goûtons le Pineaujito!

© DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

En cette journée sans voiture et sa gueule de bois sous le bras, Serge Coosemans s’est traîné à travers l’Enfer jusqu’au Cinquantenaire avant de vite le fuir, plus consterné qu’hilare des nouvelles façons de vendre le Pineau de Charentes. Sortie de route, S03E03.

« Une bombe atomique a du exploser tandis que nous dormions, dis-je. On est morts et comme nous étions de grands fornicateurs, nous voilà en enfer. » Ou plutôt au Cinquantenaire, un dimanche sans voiture. Un dimanche de gueule de bois carabinée, aussi. Le boucan est abominable: le doux ronron du moteur à combustion a été remplacé par des roulettes de toutes sortes -rollers, skate, poussettes- qui crissent sur le bitume comme les ongles d’un professeur sadique sur le tableau vert. S’ajoutent à cette basse fréquence anxiogène, un mix de cris d’enfants surexcités et les engueulades de gens qui perdent les pédales, littéralement. Le cycliste du dimanche est un loup pour les autres cyclistes du dimanche.

Une fois de plus, cette journée est une véritable horreur. Ce n’est pas convivial, ce n’est pas sympathique. C’est tellement anarchique que cela me rappelle ce film récent, The Purge, où dans une Amérique à peine futuriste, une nuit par an, on peut tuer, violer et extorquer en toute légalité. C’est ça, en fait, la journée sans voiture: une purge, une Fête des Fous. On voudrait conscientiser les gens aux problèmes de mobilité, mais en fait, on les oblige juste à sortir leur anxiété et leur brutalité du mètre cube protecteur de leurs bagnoles. On leur dit: aujourd’hui, vous pouvez faire des cabrioles dans les tunnels, vous rouler par terre Rue Belliard, marcher sur les mains sur le viaduc Reyers. Foncer en meute dans le tas de piétons, aussi, vu que de toutes façons, les flics sont tous occupés à contrôler qu’aucun conducteur ne rentre dans la ville ou ne circule sans permission. C’est une journée de violence insidieuse, l’obligation pour les automobilistes de se ronger le frein une douzaine d’heures générant de l’anxiété, qui ne risque certes pas de dégénérer en émeutes. C’est le Dimanche sans Smartphones où il y a aura des morts.

Ce qui nous amène au Cinquantenaire en ce funeste jour, c’est le Pineau So City et sa course de garçon de cafés, manifestation qui tient de la grosse opération séduction de la part des producteurs charentais. Cela m’a toujours grandement amusé quand de vieux produits tentent une cure de rajeunissement principalement publicitaire, que le Martini s’emballe soudainement comme du Prosseco ou que la Chartreuse tente de séduire un public clubbeur. Le Pineau de Charentes, né en 1589 tout de même, cherche lui aussi à casser son image de sirop pour mémés. S’inventent pour cela de nouvelles recettes et s’organisent des dégustations dans des « espaces lounge et DJ sets ». Ce qui fait naître la drôlerie, c’est que l’on sent très fort que les pubards ont vendu aux viticulteurs des concepts voulus rassurants plutôt que réellement novateurs.

Perso, on me demanderait de relifter la réputation du Pineau de Charentes, je ferais boire des cocktails dans des pantoufles à l’équipe de Groland, je donnerais au pinard une image de vieil anar rigolo franchouillard, je remettrais au goût du jour la Prière des Charentais: « Mon Dieu, donne-moi la santé longtemps, du travail pas trop souvent, de l’amour de temps en temps, mais du Pineau tout le temps! » Là, on a surtout un espace lounge qui ressemble à un stand vite monté du salon Horeca Life et un deejay qui passe de la house-music plate comme une nouille en parlant entre les morceaux, conseillant surtout au public de goûter le Pineaujito; cocktail à la menthe dont le nom assez mal choisi me fait drôlement penser à une insulte de cour de récré. On voudrait bien en goûter un, de Pinot simple flic, mais la foule se presse aux comptoirs avec des bons gratuits et c’est un peu la bousculade de trop pour notre gueule de bois, plus consternée qu’hilare devant un tel déploiement sinon de franche vulgarité (les produits ont l’air bons, quand même) au moins de vulgarisation ratée. Vers la sortie, on court plus vite que n’importe quel garçon de café en pleine course ne le fera jamais. Aussi vite qu’un Lapineau.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content