La vie suce et puis il y a la mort

Le nightclubbing est-il un loisir ou une vocation? Le jeune est-il soluble dans l’alcopop? Anthony Burgess a-t-il prédit l’avènement de la piquette electro? En descente de Carlsberg, Serge Coosemans philosophe. A sa façon. Sortie de route, track 26.

Il est, je trouve, très amusant d’observer la génération née avec Daft Punk prendre l’assaut de la nuit, de voir un dancefloor envahi par un contingent de teenagers. À même pas minuit ce vendredi 13 avril à la soirée Opus, c’est déjà plein de gamins défoncés qui dansent comme marchait John Cleese dans ce fameux sketch des Monty Python (The Ministry of silly walks) et leur haleine ne refoule pas que de l’alcopop. Je me dis qu’à leurs yeux embrumés, je dois passer pour un flic en civil, un pervers en chasse ou un père à la recherche de sa fugueuse souillon. Malgré cela, je ne ressens nullement l’angoisse de l’alpha sur le déclin, pas plus ou moins d’ailleurs que la moindre tendresse à l’égard de cette troupe de binge drinkers déjà dépravés. Ce ne sont pas des petits chatons maladroits qui pourchassent leurs propres queues (encore que), il s’agit plutôt d’une bande de morveux dont la fausse assurance en milieu noctambule est une bonne blague cruelle. Voilà que je me mets à taper la discute avec un jeune britannique qui devait lui aussi encore manger de la compote sans morceaux alors que l’on me payait déjà pour écrire des foutaises sur l’avènement de la French Touch et le bug de l’an 2000 et lui, il est carrément consterné par ce qui se passe là. Il déplore l’attitude de moutons, la musique minimale qu’il juge sans saveur, techniquement basique, sans la moindre valeur artistique. Il invoque Andrew Weatherall et Ivan Smagghe, DJ’s qu’il admire, et clame fièrement vomir ce qui sort généralement des baffles des soirées prisées par la génération Y.

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Mon anglais noyé dans la Carlsberg, j’ai un peu de mal à lui expliquer que d’après moi, ce n’est pas tant une question de génération que de choix de vie. 90% de ces gosses qui foutent ce soir le chambard, dans 10 ans, ils auront des emprunts et des embonpoints, ainsi qu’un poste à responsabilité dans le secteur tertiaire. Ils posteront des proverbes sur Facebook plutôt que des articles sur la kétamine, passeront leurs soirées à écouter Zaz en comparant les bavettes de leurs nouveau-nés. Mieux, dans 50 ans, ils auront tous des têtes de hiboux, la gratuité dans les transports en commun, des vêtements essentiellement beiges et ils ne se nourriront plus que de harengs et de bavarois. C’est la vie et la vie, c’est vieillir. C’est la vie et comment la vivre est un choix. En l’occurrence, quand on parle de nightclubbing, il faut un moment choisir si c’est un loisir ou une vocation. Pour la majorité des gens, depuis l’invention de la beuverie animée par un orchestre, c’est un loisir et les loisirs, avec l’âge, évoluent: défonce à 20 ans, cuisine bio à 35, sport, pornographie et spéculation à 40, pétanque, belote, Julien Lepers et sudoku plus tard. Le désir d’échapper à ce tout-venant mène à la vocation et c’est exactement ce qui est arrivé à mon jeune camarade d’Albion: il a trouvé le tout-venant bien naze, il a cherché son bonheur ailleurs et il l’a trouvé chez les DJ’s cultes qui traînent un énorme bagage contre-culturel depuis 1990. Il a choisi comment nourrir ses appétits et, aujourd’hui, c’est essentiellement de cela qu’il s’agit: choisir entre le tout-venant et le millésimé, l’industriel et l’artisanal, un débutant qui chipote Ableton pour la cinquième fois de son existence et un DJ actif depuis le second summer of love.

Jadis, la scène électronique présentait encore un échappatoire, une alternative aux sons des grosses discothèques et des sonos mobiles qui passaient alors principalement Wham, Jean-Jacques Goldman, des slows et des bambas. Ce n’est plus le cas aujourd’hui que la nuit, la musique électronique est quasi générique. Anthony Burgess dans Orange Mécanique et William Gibson dans Neuromancien avaient abordé cette idée d’une musique qui serait un flux continu, partout et toujours disponible. On ne saurait plus très bien qui la joue, qui la compose. En fait, elle pourrait même être générée par un programme même pas très sophistiqué qui agence des patterns sonores de façon aléatoire. On y est, depuis quelques années déjà, depuis que la différence se fait extrêmement floue entre une prestation live, un DJ-set et la diffusion d’un mix préparé (ou volé) à la maison. On y est et dans les bouquins comme dans la réalité, une majorité de gens s’en fout complètement.

De cette meute de jeunots aperçus l’autre soir, il n’y en aura que quelques-uns pour un jour se plaindre de ce qui les entoure, de ce dont on les abreuve, pour chercher autre chose, s’intéresser aux histoires, aux contextes, parler sans gêne aux vétérans, dégotter ce qui épanouit réellement. C’est un genre de discours qui peut sonner très condescendant, très élitiste et tout simplement couillon mais il s’agit ici moins de prôner une attitude digne de ces bobos qui vont chercher de l’âme et de l’authenticité jusque dans le choix de leurs poignées de portes que de, tout simplement, inviter à trouver de quoi se rendre la vie plus riche, plus gaie, plus colorée, meilleure. Cela à n’importe quel âge, même si le plus tôt, c’est le mieux. Ça, c’est que je pense. Ce que j’ai réellement dit, par contre, s’est limité à « Carlsberg sucks, can’t even think with that shit in my brain. » Comme quoi les nuits de folie, c’est à l’eau plate le dimanche après-midi qu’on en parle le mieux. Quand on s’en souvient.

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Serge Coosemans

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