Philip Seymour Hoffman, mort d’un immense acteur

Philip Seymour Hoffman est décédé ce dimanche à l'âge de 46 ans. © REUTERS/Robert Galbraith
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Il était l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Philip Seymour Hoffman est décédé ce dimanche à l’âge de 46 ans, dans son appartement de Manhattan. Notre critique ciné Jean-François Pluijgers, qui l’a rencontré à deux reprises, a tenu à lui rendre hommage.

« J’aime me poser des défis, et je suppose que cela transparaît dans mon travail. Le statu quo, la norme, le ronron ne m’intéressent pas vraiment, je n’y crois d’ailleurs pas – la vie n’est rien d’autre que chaos permanent, même quand on essaye de la canaliser. J’interprète des êtres humains, des individus complexes avec une histoire et un futur encore indéfini, et dont le meilleur comme le pire peuvent sortir. Je suis attiré par des personnages que l’on envisage honnêtement, et non à la manière des héros habituels des films, qui semblent n’exister que dans un monde de divertissement, et non dans la vie. »

La formule est certes fréquemment galvaudée, mais s’agissant de Philip Seymour Hoffman, disparu ce week-end à New York dans les circonstances que l’on sait, parler de l’un des meilleurs acteurs de sa génération relève du truisme. Constat dûment sanctionné, d’ailleurs, par un Oscar – c’était en 2006, pour sa monstrueuse incarnation de Truman Capote, dans le film de Bennett Miller, qui lui valait la reconnaissance de la profession. Des interprétations hors normes, le comédien new-yorkais s’en était fait la spécialité depuis qu’on l’avait découvert au milieu des années 90. Venant après son apparition dans Hard Eight, du même Paul Thomas Anderson, son Scotty J dans Boogie Nights devait frapper les esprits, au même titre d’ailleurs que le puceau accro au sexe par téléphone de Happiness, de Todd Solondz, ou encore son incarnation de Lester Bangs, le légendaire critique rock gonzo dans Almost Famous, de Cameron Crowe.

À défaut d’un physique de jeune premier (euphémisme), Hoffman savait en effet imposer présence et intensité pour imprimer une marque indélébile à l’écran. La liste de ses films ressemble d’ailleurs à un best of du cinéma indépendant américain, qui aligne encore The Big Lebowski, des frères Coen, The Talented Mr. Ripley, de Anthony Minghella, ou Before the Devil Knows You’re Dead, de Sidney Lumet, et l’on en passe, comme ses collaborations à répétition avec PTA – jusqu’à The Master, où il habitait, magistral, Lancaster Dodd, gourou d’une secte opposé à Joaquin Phoenix, rencontre qui ne pouvait que produire des étincelles. Et puisque Hoffman était aussi un caméléon, il saurait, à l’occasion, donner dans la production hollywoodienne mainstream: ainsi de Red Dragon, de Brett Ratner, de Mission Impossible III de J.J. Abrams, ou encore, tout récemment, The Hunger Games: Catching Fire, franchise dont les suites devraient constituer son testament filmique, au même titre que A Most Wanted Man, d’Anton Corbijn.

Acteur immense, Hoffman était bien conscient de son génie. Le comédien, que l’on croisa, à deux reprises, la première, il y a tout juste dix ans, après qu’il avait retrouvé Anthony Minghella pour jouer un prêtre défroqué dans Cold Mountain; la seconde, en 2011, pour The Ides of March, de George Clooney, pouvait ainsi se révéler d’un abord peu commode, ne cherchant même pas à masquer l’ennui qui l’accablait à la perspective de rencontrer la presse, lui qui portait, à l’évidence, une irrépressible détestation à l’endroit de la table ronde, exercice potentiellement ingrat il est vrai. Tout sauf un « bon client » suivant l’expression consacrée . Ce qui ne l’empêchait pas de cadrer une carrière qu’il poursuivait avec un égal bonheur sur scène et à l’écran – « le théâtre, c’est plus ma vie, c’est la raison pour laquelle je me lève chaque matin », observait-il en 2003, évoquant son expérience au sein de la Labyrinth Theater Company. C’est d’ailleurs sur les planches qu’il avait fait ses débuts à la mise en scène, quelques années plus tôt, expérience qui trouverait un prolongement au cinéma en 2010, à la faveur de Jack Goes Boating (Rendez-vous l’été prochain), unique film réalisé par ses soins. « Mettre en scène a été toute une affaire, parce que j’ai commencé à voir tous les défauts que je pouvais avoir en tant qu’acteur. J’ai pu les identifier, mais aussi aider les comédiens. Et cela m’a convaincu du bien-fondé des notes que je recevais moi-même des metteurs en scène. Jouer est quelque chose de fort subjectif, et on a parfois besoin d’un regard objectif afin de pouvoir se voir soi-même. » L’expérience l’avait assurément comblé, dont il confiait encore qu’il espérait la renouveler, avant de conclure : « Je n’ai pas de plan, je ne sais pas où je veux aller… »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content