Bref: retour sur le phénomène

Après avoir conquis près de 2,5 millions de téléspectateurs et 3 millions de fans sur facebook, la série Bref s’est achevée jeudi 12juillet. Comment une série aussi simple sur papier est devenue l’une des plus adulées en France? Décryptage.

Depuis qu’ont été diffusés les deux derniers épisodes de Bref, les hommages de fans affluent sur Facebook et Twitter. Déjà en manque de leur dose de capsules hebdomadaire, ceux-ci n’en saluent pas moins la décision des créateurs de la shortcom d’éviter le piège de la saison de trop. Dès la diffusion des premiers épisodes, le programme a immédiatement recueilli un succès d’audience, devenant même le deuxième programme le plus liké sur Facebook à l’échelle mondiale cette année. Et chose plus inhabituelle, le succès d’audience s’est accompagné d’un succès critique. Rarement une série -française, de surcroît- aura réuni un si large consensus. Sur papier pourtant, rien de transcendant: « Dans la vie, au début on naît, à la fin on meurt, entre les deux y s’passe des trucs. Bref. C’est l’histoire d’un mec, entre les deux. » La série suit donc les pérégrinations de « je ». Difficile de faire plus banal comme pitch. Alors, comment expliquer les raisons d’un tel succès?

Un format singulier

Des plans qui se succèdent de manière stroboscopique avec un type doté d’une élocution parfaite. C’est en grande partie à ces deux ingrédients que la série doit son succès. Une révolution de la petite lucarne? Non. Les créateurs de Bref n’inventent rien. Le format hyper condensé, comme la narration sur le mode de la voix off, avaient déjà été faits avant. Mais est-il encore possible d’arriver avec une formule entièrement nouvelle dans la façon de filmer et de réaliser? La force de Bref aura été de faire la synthèse de techniques déjà utilisées dans le passé pour servir un concept original. Au diable la tradition française! Les influences sont à trouver principalement outre-Atlantique. Avec ses 130 plans en moyenne par minute, la série lorgne clairement plus du côté des clips MTV que de la Nouvelle Vague. Devant un seul épisode de Bref, le spectateur ingère autant de plans qu’en deux heures devant Le mépris de Jean-Luc Godard. C’est dans un film américain de 2002, Les lois de l’attraction, qu’on a pu voir pour la première fois ce type de montage nerveux, rythmé au LSD. Dans un passage du film, l’un des protagonistes raconte en moins de 5 minutes son road-trip en Europe. Les images s’enchaînent alors à la vitesse des drogues absorbées.

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A côté du montage survolté, la série doit son succès à une utilisation judicieuse de la voix off. Là encore, rien de nouveau sous les tropiques. On a pu retrouver cette voix off qui épouse l’univers mental du personnage dans des films comme Fight Club, Trainspotting et Snatch. Les créateurs de la série citent d’ailleurs volontiers ces films comme influences. Mais on a aussi pu la trouver utilisée à des fins comiques dans des séries comme Scrubs ou, plus récemment, How Not To Live Your Life. On n’a d’ailleurs pu s’empêcher de penser à cette dernière en voyant l’épisode « Bref, je me suis réveillé à côté de cette fille ». Même humour, mêmes ficelles. Bref profite pleinement des possibilités offertes par la voix off. Le comique des situations provient la plupart du temps du décalage qui existe entre ce que dit « je », d’une part, et ce que montrent les images, d’autre part. La voix off devient un running gag à elle seule, comme on peut le voir dans cette parodie du Golden Show, avec Kyan Khojandi.

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Le secret de l’humour qui fonctionne n’a rien à voir avec l’intelligence, la subtilité de l’écriture ou l’originalité des situations comiques. Bref en est la preuve: un humour qui ne fait pas dans la finesse, des situations éculées, des dialogues inexistants, un synopsis qui tient lieu d’histoire et… ça marche! Comme souvent dans les bandes annonces de comédies hollywoodiennes, qui sont étrangement plus drôles que le produit complet, le secret c’est l’édition. Ce qui fait que l’humour fonctionne n’en revient qu’au « timing », bien plus important que le potentiel humoristique d’une blague sur papier. Et ça, Bref le fait très bien.

Le montage, c’est ce qui fait la qualité de la série, mais qui en constitue aussi sa limite sur le long terme. Une fois les recettes de montage connues, l’humour devient prévisible. Le rire disparaît avec l’effet de surprise. Les créateurs de la série l’ont vite compris et n’ont pas hésité à changer de registre, pour continuer à déjouer les attentes du public. De capsules comiques, on est passés à un objet plus proche d’une série classique, avec une évolution de l’histoire, une évolution des personnages, et parfois même des cliffhangers en fin d’épisode. Et quand Bref s’aventure dans ce registre, on a du mal à la suivre. Tout simplement parce qu’il manque l’ingrédient essentiel pour que ça fonctionne: l’attachement aux personnages. Ici, il n’y en a qu’un et c’est un loser antipathique.

Un miroir de notre époque

Bref s’adresse à la génération connectée, celle des 20-30 ans, et sait surfer sur cette vague. Le mec passe son temps sur Facebook, il télécharge de la musique illégalement, et il a même eu un portefeuille à scratch quand il était petit! Hé, mais c’est dingue, on est tous pareil que « je ». On a déjà eu du mal à s’endormir, du mal à monter un meuble Ikea, on s’est déjà bourré la gueule et même que parfois nous aussi on perd du temps sur internet (à regarder Bref!). La série joue à fond la carte de l’identification, en nous présentant des situations ordinaires qui sont déjà arrivées à tout le monde. Et comme c’est pas mal fait du tout, ça marche. Mais de nouveau, rien de révolutionnaire. On est en plein dans la vague d’humoristes du quotidien, comme Seinfeld il y a 20 ans, ou Norman et Cyprien aujourd’hui. La série se contente de poser un miroir devant le spectateur sans jamais lui proposer de le briser ou de faire quoi que ce soit pour changer l’image qui s’y reflète. Elle ne prend aucun vrai risque et aborde toujours des thèmes très consensuels. Les créateurs se contentent de proposer une série construite de manière à plaire à un large public formaté par la culture internet.

Le désert télévisuel français

Son succès, la série le doit aussi à la pauvreté de la concurrence. Bref c’est un peu l’arbre qui cache non pas la forêt mais le désert du paysage audiovisuel français. Au moment où TF1 diffuse sa 21e saison de Julie Lescaut et sa 18e saison de Navarro, pas étonnant que l’hyper vitaminée Bref fasse office d’OVNI télévisuel. Mais si on commence comme ça, Le destin de Lisa impose un rythme insoutenable comparé à son compatriote Derrick. Bref, dans le paysage des séries humoristiques françaises, c’est du jamais vu. Le héros se bourre la gueule, dit « merde » et « putain » et se masturbe. Sûr que c’est pas dans l’ère AB productions (Hélène et les Garçons, Premiers Baisers, Le miel et les abeilles, etc.) qu’on aurait vu ça. Là c’était plutôt jus d’orange, « fichtre », et bécotage dans le garage. Seulement, à l’heure d’internet, où toutes les séries du monde -d’hier et d’aujourd’hui- sont à portée de clic, c’est à d’autres ténors du genre que la shortcom se confronte. Et là, la série originale dans la forme, mais tout à fait convenue dans son fond, aura du mal à soutenir la comparaison avec certains bijoux d’humour subversif anglais. Le ramdam autour de Bref est surtout révélateur du manque de prise de risque des chaînes de télévision françaises. Alors que le public est manifestement demandeur, en témoigne le phénomène autour de Bref! C’est un signal fort envoyé aux chaînes et aux créateurs de l’hexagone qui, espérons-le, oseront à l’avenir davantage s’éloigner des sentiers battus.

Valentine François (stg)

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