Philippe Cornet

Leonard Cohen, Docteur No

Philippe Cornet Journaliste musique

En refusant le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de Gand, Leonard Cohen confirme que la musique n’est pas une olympiade d’excellence.

La chronique de Philippe Cornet

Le 18 août, Leonard Cohen boucle une série de cinq concerts complets sur une place gantoise: 40 000 fans viennent d’y applaudir ses Old Ideas, nom de baptême d’une tournée mondiale également triomphale. Chaudes comme la braise, les autorités académiques de l’université locale profitent de la « gantisation » du vieux poète juif canadien et lui proposent le titre Honoris Causa, brevet honorifique précédemment accepté par Kofi Annan, Desmond Tutu et Bob Geldof. Réaction du barde de Montréal: « Cohen nous a rapidement fait savoir que c’était très gentil de notre part (sic) mais que ce n’était pas nécessaire. » Aucune photo n’est disponible du bourgmestre de Gand -le socialiste Daniël Termont- ou du recteur Paul Van Cauwenberghe, mais on peut imaginer leurs mâchoires déconfites par tant d’ingratitude. Même si Cohen a déjà précédemment refusé des babioles lettrées -en 1968, le Governor General’s Award canadien récompensant la poésie ou drame en langue anglaise-, il en a aussi accepté tout un arsenal, allant de l’Ordre du moine bouddhiste Rinzai (1996) au prestigieux Prix Glenn Gould (2011). Alors, l’académisme flamouche n’est-il pas assez bien pour le libertin sexophile ou, simplement, le libellé de « Docteur » s’avère-t-il incompatible avec son statut de guérisseur de maux par les mots? Ne faites jamais confiance à un type qui accepte en 2010 le Porin Award de Croatie dans la catégorie des programmes vidéo étrangers (…) et qui boude la distinction de la Flandre pensante.

Et si on laissait les médailles aux vieux combattants et autres occupants de tranchées rouillées? C’est communément le cas, jusqu’en 1965, lorsque les Beatles acceptent la MBE -Most Excellent Order Of The British Empire-, degré minimum de l’ordre honorifique instauré en 1917 par George V. La première couille dans le royal potage surgit en 1969, lorsque Lennon renvoie sa médaille à la reine parce qu’il n’approuve ni la politique britannique de soutien à la guerre du Vietnam, ni l’implication de son pays dans le conflit du Biafra.

Sir Mick

Alors que penser de Mick Jagger recevant le titre de Chevalier de la Reine d’Angleterre en 2002, devenant Sir Mick et déclenchant logiquement la raillerie de son faux frère K. Richards? Ou d’Iggy Pop, bombardé en 2003 Officier des arts et lettres par Jean-Jacques Aillagon, proche de Jacques Chirac qui, c’est sûr, adorait le punk crasseux des Stooges. Ou d’Arno, affublé -comme Lou Reed, Björk ou Bob Dylan- de la même médaille institutionnelle? Les ministres et autres serviteurs officiels de l’Etat français ou anglais (ou autre) attendent généralement 20, 30 ou 40 ans de carrière rock (…) avant de reconnaître, trois guerres plus tard, le pouvoir de la musique. Quelle audace. Confirmant que comme Bowie -acceptant le titre de Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres en 1999 mais refusant toute distinction anglaise en 2000 et 2003-, le rock est une girouette qui dit une fois non et deux fois oui.

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