Critique

Le film de la semaine: The Grand Budapest Hotel

The Grand Budapest Hotel © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

COMÉDIE DRAMATIQUE | Pour son huitième long métrage, Wes Anderson déploie son univers dans un palace de l’Europe centrale des années 30, cadre d’un film foisonnant et surprenant.

En une bonne quinzaines d’années (et moitié moins de films), Wes Anderson a imposé un style à nul autre pareil, qui en a fait l’un des auteurs les plus singuliers et les plus passionnants de son temps. Mais s’il s’inscrit dans le fil excentrique de l’oeuvre, The Grand Budapest Hotel, son huitième long métrage, traduit aussi une évolution sensible de son art, dans sa géographie, dans ses thèmes, et même dans la manière.

Il plane sur ce film, nourri de l’influence de l’oeuvre de Stefan Zweig, comme un délicat parfum de nostalgie pour un monde jetant ses derniers feux. Mélancolie assortie, toutefois, de ce tour échevelé qui est souvent celui des films de Anderson, The Grand Budapest Hotel adoptant, par endroits, un ton résolument cartoonesque. Impossible, du reste, de ne pas penser à la Syldavie imaginée par Hergé, alors que l’on embarque pour la république de Zubrowska, contrée imaginaire d’Europe centrale, et le décor d’un scénario à tiroirs. Enchâssant les époques sur les pas d’un écrivain (Jude Law) écoutant les souvenirs de Zero Moustafa (F. Murray Abraham), le propriétaire du Grand Budapest Hotel, Wes Anderson remonte le temps pour l’arrêter dans les années 30. Soit lorsque le palace accueillait le gratin européen sous le regard attentif de Monsieur Gustave (Ralph Fiennes), dandy doublé d’un concierge zélé, et plus encore, qui va prendre sous son aile le jeune Zero (Toni Revolori), engagé comme lobby boy. La mort inopinée d’une cliente, suivie de la lecture de son testament et du vol d’un tableau de la Renaissance, précipitera le duo dans une succession d’aventures extravagantes ayant pour théâtre l’Est de l’Europe, à la veille de la tourmente…

Maintenir un cap cohérent

C’est là l’une de ses marques de fabrique: comme toujours chez Anderson, la mise en scène est à la fois virtuose et intensément jubilatoire – jusqu’au cadre qui évolue en fonction des époques, passant du format large pour les années 60, au 4:3 pour les années 30. Une excentricité parmi d’autres pour un film qui n’en est certes point avare, intégrant encore par exemple des passages en stop motion (rappelant Fantastic Mr Fox) à une scène de poursuite enneigée aussi ébouriffante que celles de… On Her Majesty’s Secret Service, pas moins.

L’art de Anderson est de maintenir un cap cohérent dans la profusion de détours, détails, et artifices dont il sature l’écran jusqu’à donner le tournis. Et de parvenir aussi, bien aidé par ses acteurs (fidèles, comme Bill Murray, Owen Wilson ou Jason Schwartzman, ou nouveaux venus, comme Saoirse Ronan ou, bien sûr, Ralph Fiennes) à préserver la justesse des émotions, tout en donnant une réelle consistance à ses personnages. La relation s’ébauchant entre Gustave et Zero est à cet égard exemplaire, relecture féconde du lien de filiation au coeur de son oeuvre. Alors certes, The Grand Budapest Hotel est du pur Anderson, citant encore The Royal Tenenbaums ou laissant son jeune héros filer le premier amour, comme en une réminiscence de Moonrise Kingdom. Sous couvert de légèreté et de loufoquerie, le réalisateur y prend toutefois aussi la mesure sensible du temps qui passe et des échos de l’Histoire. Le tout, avec une maestria n’appartenant qu’à lui, et qui veut que l’on ressorte de ce film foisonnant fort d’un sentiment voisin de la plénitude…

  • DE WES ANDERSON. AVEC RALPH FIENNES, TONY REVOLORI, WILLEM DAFOE. 1H40. SORTIE: 05/03.
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Retrouvez également les interviews de Wes Anderson, Ralph Fiennes, Tony Revolori, Willem Dafoe, Jeff Goldblum et Saoirse Ronan dans le Focus du 28 février.

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