Avec « Hors-la-loi », Rachid Bouchareb joint le spectacle à l’Histoire

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Avec « Hors-la-loi », Rachid Bouchareb donne une suite à « Indigènes », s’attachant cette fois à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, à travers l’histoire de trois frères racontée à la manière d’un polar…

Projeté en toute fin de festival, Hors-la-loi de Rachid Bouchareb aura fait planer un léger vent de polémique sur Cannes, le temps d’une manifestation convoquée par un député local de l’UMP. Si l’on eut donc droit au spectacle des CRS déployés aux abords du Palais, il en fallait plus pour troubler un réalisateur que l’on retrouvait à quelques encablures de là, sur l’une des nombreuses terrasses aménagées en front de mer:

« En France, chaque fois qu’il y a un film sur la guerre d’Algérie, une minorité tente de s’opposer à ce que l’on raconte ce qui s’est passé. Cela s’est déjà vu à l’époque de La bataille d’Alger de Pontecorvo et du Petit soldat de Godard. Et certains, relayés par des politiques très proches de l’extrême-droite, s’imaginent que 50 ans plus tard, on va encore faire la censure et interdire le film en salles. Mais ce n’est plus possible, aujourd’hui: la majorité des Français est disposée à voir le passé. Les gens peuvent manifester, mais le film a le droit d’être là… »

Si le film se déroule pour l’essentiel en France, entre un bidonville de Nanterre et le combat pour l’indépendance mené par le FLN, il fait des massacres de Sétif, le 8 mai 1945, le point de départ de la guerre d’Algérie, au coeur d’une scène monumentale à laquelle on a reproché son caractère réducteur. Objection que balaie Bouchareb: « Je parle, en quelques minutes, d’un massacre qui s’est déroulé sur plusieurs semaines, et où l’on a tué entre 20.000 et 40.000 personnes. Le tout, organisé et dirigé par les autorités françaises, en utilisant l’aviation qui a bombardé la ville, la marine qui a pilonné les villages à l’intérieur des terres, et en armant les colons pour participer au massacre. L’important, à mes yeux, c’était de dire, dans une scène de cinq minutes, qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les soldats indigènes de mon premier film qui s’étaient sacrifiés pour libérer l’Europe et la France attendaient de devenir libres eux aussi, et d’avoir leur indépendance. Mais alors que le 8 mai, en France, on fêtait la libération, eux ont eu droit à un massacre. Mon film ouvre le débat pour parler de Sétif, mais aussi de toute la guerre d’Algérie, dont ces massacres sont l’acte de naissance. Tous les historiens s’accordent là-dessus. L’officier qui a dirigé les massacres pendant plusieurs semaines a dit au gouvernement de l’époque: « Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais il faut que les choses changent ». Comme rien n’a changé, neuf ans après, le 1er novembre 1954, c’était le début de la guerre d’Algérie. »

Du cinéma populaire

Il y a, chez Bouchareb, au-delà de la dimension politique, une volonté didactique manifeste, dût-elle parfois prendre des contours maladroits. On peut, à cet égard, faire à Hors-la-loi le reproche d’un trop grand schématisme, en ce compris dans la définition de ses trois personnages centraux, trois frères aux destins contrastés. Discutable, également, le parti pris ayant conduit le réalisateur de Little Sénégal à raconter leur histoire à la manière… d’un film de gangsters. « Ce choix présentait un risque, c’est vrai, mais c’est cela qui est enthousiasmant. Si Indigènes a été un grand succès en France, c’est parce que, avec le scénariste, nous avons construit l’histoire comme celle d’un film de guerre classique. La fin de Indigènes, ce sont Les sept mercenaires, ou Les sept samouraïs qui arrivent dans un village pour protéger les gens. Aujourd’hui, on ne peut plus faire un film comme La bataille d’Alger, ou alors on ne touchera que 200 ou 300.000 spectateurs en France. Or, j’estime que cette histoire doit être donnée au plus de gens possibles, tout en leur garantissant du spectacle. Les spectateurs ont l’action, et celui qui veut l’Histoire, il va plus loin. Il faut que le cinéma populaire existe, et permette aux gens de rentrer dans l’Histoire. »

Intention louable, sans doute. Mais si le film de guerre était consubstantiel de Indigènes, il en va différemment du genre policier avec Hors-la-loi, qui convoque, avec une réussite relative toutefois, les ombres de Francis Ford Coppola (The Godfather), Sergio Leone (Once upon a Time in America), Elia Kazan (Viva Zapata!), Michael Mann (Heat) et autre Jean-Pierre Melville (L’armée des ombres). Sans oublier Ken Loach et The Wind that Shakes the Barley, référent de Bouchareb s’agissant d’évoquer le souffle révolutionnaire qui traverse son propos, et la violence qui le sous-tend: « Ce que j’ai voulu exprimer, c’est que dans toutes les révolutions, la violence politique est présente. On utilise toujours sensiblement les mêmes méthodes. » Voire…

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Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb. Avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila. 2h18.

Poursuivant le travail de mémoire entamé avec Indigènes, Rachid Bouchareb retrace, dans Hors-la-loi, le combat de l’ombre ayant conduit à l’indépendance de l’Algérie. Cette lutte, le film l’envisage à travers le destin de trois frères (Sami Bouajila, Roschdy Zem et Jamel Debbouze, impeccables), arrachés à leur terre pour échouer, auprès de leur mère, dans un bidonville de Nanterre où ils connaîtront des fortunes diverses, les deux premiers militant bientôt activement pour la cause algérienne, là où le troisième fera fortune dans l’organisation de combats de boxe.

A leur suite, Hors-la-loi, qui court des massacres de Sétif, le 8 mai 1945, à la proclamation de l’indépendance, en 1962, mêle petite et grande histoire, mais aussi didactisme et grand spectacle, volonté politique et esthétique de polar façon néo-Parrain. S’il y a là une volonté évidente de rendre le propos accessible, le résultat laisse néanmoins songeur: outre diverses approximations et raccourcis discutables, ce traitement de film de gangsters réduit singulièrement la perspective d’une oeuvre échouant à retrouver la force de Indigènes.

J.F. PL.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes

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