Tindersticks @ Bozar: invitation aux voyages

Les Tindersticks de Stuart Staples investissaient jeudi la salle Henry Le Boeuf du Palais des Beaux-Arts pour un ciné-concert d’exception. Émotion.

Musique et cinéma, l’union sacrée? Oui s’agissant des Tindersticks et de leur collaboration avec Claire Denis, ceux-ci signant les musiques des longs métrages de celle-là depuis 15 ans déjà, au fil d’une inspiration sans cesse renouvelée. D’où cette idée, ambitieuse, de donner corps à leurs compositions éminemment cinématographiques sur scène, d’y imbriquer le plus étroitement possible musique live et extraits de films. Raison pour laquelle le groupe originaire de Nottingham faisait halte ce jeudi au Palais des Beaux-Arts, dans le cadre de la 9e édition du Brussels Film Festival, inaugurée la veille par la gueule d’amour Biolay et le Pourquoi tu pleures? de Katia Lewkowicz.

A l’écran, train, RER, bateau, moto, chevaux, sexe: les moyens de transport, amoureux ou non, tiennent lieu de fils conducteurs dans les méandres organiques de la filmographie de la Française. Le montage, tourbillon de fictions multipliant les correspondances, les itérations, qu’elles soient visuelles ou thématiques, tisse un dialogue étrange entre les films, les personnages: et la violence carnassière de la Béatrice Dalle de Trouble Every Day (2001) de répondre au désoeuvrement blême d’Isabelle Huppert dans White Material (2010) ; le regard d’une Valérie Lemercier frémissante de désir dans Vendredi Soir (2002) de croiser celui, perdu au loin, d’Alex Descas dans 35 rhums (2008). Cet entrelacs de lignes d’horizon donne naissance à un film nouveau, un bâtard suprême, qui raconte moins une histoire qu’il n’éveille en cascade des sensations -elles-mêmes inscrites sous le signe d’une éternelle trilogie: la vie, l’amour, la mort.

Sur scène, les 8 musiciens s’effacent le plus souvent devant les images, délivrant à grand renfort de cordes et de cuivres la musique classieuse que l’on sait, au confluent d’une soul old school et d’une pop opulente empruntant à John Barry autant qu’à Scott Walker… On frise par endroits l’écueil de l’ambiance jazzy anesthésiante sans jamais s’y vautrer, les nombreuses plages purement instrumentales s’électrisant le temps d’une folle cavalcade (L’intrus, 2004) et faisant enfin place, çà et là, à des compos portées par la voix onctueuse, caverneuse, quasi sexuelle, de Stuart Staples, crooner né pour faire l’amour avec son larynx (renversant Trouble Every Day). Pour un ciné-concert que sa mécanique de précision implacable -la musique s’arrête soudainement pour laisser retentir un bruit à l’écran la seconde d’après- n’empêche pas un instant de vibrer d’une authentique émotion.

Staples n’a jamais caché le rôle déterminant que les B.O. réalisées pour les films de Claire Denis, ouvertures au monde autant qu’invitations aux -multiples- voyages, ont pu jouer quant à l’équilibre, la survie même, de ses Tindersticks au fil du temps. En fin de parcours, il remercie la cinéaste, elle-même présente dans les rangs étonnamment clairsemés de la grande salle Henry Le Boeuf, pour l’inspiration donnée au groupe pendant toutes ces années. Avant que celui-ci ne se fende de 2 ultimes douceurs, dont un Tiny Tears -entendu également du côté des Sopranos de David Chase- proprement somptueux, mille-feuille crémeux sur lequel un Vincent Gallo à moustache (Nénette et Boni, 1996) pétrit avec entrain une Valeria Bruni-Tedeschi bonne pâte, toute en rondeurs meringuées. On en mangerait.

Nicolas Clément

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