Kurt Vile: « Hypnotiser pour faire croire que les morceaux durent moins longtemps »

© Shawn Brackbill
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Kurt Vile signe un double album sans âge. Onze chansons qui se jouent du temps et marchent sur les traces des tout grands.

KURT VILE, WAKIN ON A PRETTY DAZE, CHEZ MATADOR. ****
LE 26/5 À L’ANCIENNE BELGIQUE.

Il a le look « so cliché » du rockeur. Pour ne pas écrire du grunge. Une longue chevelure noire qui lui tombe bien en dessous des épaules. Puis un rire forcé, surprenant, ahuri, qui renvoie tout droit aux deux crétins de Beavis et Butt-Head… Kurt Vile, qui fête ses 33 ans cette année, n’a pas enregistré avec Wakin on a Pretty Daze l’album qui le rendra plus célèbre que Jésus. Il ne passera pas, ou très peu, et très tard, à la radio. Il ne se fredonnera guère le matin sous la douche ou sur la route du boulot. Il entre encore moins dans les formats et les cadres d’aujourd’hui. L’ère d’Internet et du single…

« Je ne sais pas si c’est vrai. Le dernier Neil Young démarre sur un morceau de 28 minutes. Ça n’a rien de si étrange ou exceptionnel, raconte-t-il dans un petit café bruxellois très typé. Un disque, faut surtout prendre ses précautions pour qu’il tienne la route de bout en bout. Parce que tout est jetable dans le monde d’aujourd’hui. Je ne prétends pas que tout le monde aimera mais je sais que je peux en être fier. »

Wakin on a Pretty Daze est un double album, contient onze morceaux, dure une heure dix, s’ouvre et se ferme avec des titres qui avoisinent les dix minutes. « J’avais cette collection de chansons du genre épique. Certaines étaient longues mais je ne savais pas combien de temps elles allaient durer. Je voulais un clavier, de l’électricité. Je voulais aller en profondeur. Expérimenter. Explorer. Je n’avais pas de textes particulièrement longs. Mais prenons Wakin on a Pretty Day: j’ai utilisé les progressions d’accords les plus basiques possibles, je voulais la rendre familière et en même temps qu’elle ait de la personnalité. Ça fait vraiment du bien de jouer certains accords et de se perdre. »

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D’autant qu’ils donnent envie de lui emboîter le pas et de zoner la crinière au vent en sa compagnie sur les routes de Philadelphie et de l’Amérique profonde. Ses chansons, le chevelu n’essaye pas désespérément de les étirer avec des jams inutiles et des solos branleurs qui font un disque à peu de frais et d’efforts. Il les laisse respirer. « J’essaie plutôt de vous hypnotiser pour vous faire croire qu’elles durent moins longtemps. Je ne vois aucun désavantage à un morceau de dix minutes… Si une chanson t’embête ne serait-ce qu’un instant, c’est qu’elle n’est pas bonne. Et peut-être même qu’elle devrait être plus courte. Pense à ta pop song préférée. Celle que tu passes quatre ou cinq fois en suivant. Bien, c’est ce que j’ai essayé de composer et d’enregistrer de manière à ce que tu n’aies plus à bouger ton cul du fauteuil… »

Streets of Philadelphia…

Bob Dylan, Neil Young, Tom Petty, le fingerpicking de John Fahey, le Beautiful Boy de Lennon ou encore In My Hour of Darkness de Gram Parsons et son piano honky-tonk… Quand il se met à parler musique, cinéma, littérature, Vile a la langue sacrément bien pendue. « J’ai des milliers de vinyles mais aussi de CD à la maison, glisse-t-il. Parce que c’est plus facile à ramener de voyages et parce que j’ai encore un bon vieux discman. Tout a commencé dès que j’ai eu mon premier boulot. Je claquais mes payes pour acheter les disques de Pavement. »

L’image le stimule aussi. Le Thieves Like Us de Robert Altman qu’il a revu récemment l’a marqué. « Il y a Shelley Duvall (la femme de Nicholson dans Shining, ndlr) dedans. Je la trouve fascinante comme actrice. C’est l’un de ses premiers films. Elle est toute frêle et parle avec un accent du Mississippi. Elle a un truc unique et m’a influencé à sa manière. »

Vile a aussi un faible pour le Badlands de Terrence Malick. « J’aime ces films grands ouverts des années 70. Leur style, leurs paysages… On dit souvent ces derniers temps que ma musique évoque ces vastes étendues. Je pourrais créer un mythe d’ailleurs. Prétendre que les yeux de mon esprit sont des spectres pour les paysages de Badlands. »

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Mais il préfère disserter sur ses dernières lectures. Hotel California, « un super bouquin sur Laurel Canyon et la scène californienne d’antan », et Mansion on the Hill, « qui parle du business de la musique à travers des rock stars comme Neil Young, Bob Dylan, Bruce Springsteen (quelques-unes de ses grandes influences, ndlr)« . Vile s’est fait l’intégrale de Bret Easton Ellis aussi. « Je me suis enfilé Less Than Zero, American Psycho, The Informers, Lunar Park, The Rules of Attraction… Il est fort pour rendre ses personnages crédibles et il est compatissant ou du moins compréhensif envers la génération perdue qu’il décrit. Je pense que je pourrais glandouiller avec ce type. C’est l’un de mes auteurs préférés avec Flannery O’Connor, une chrétienne du sud qui sévissait au milieu du siècle dernier. »

En attendant, sa clique à lui, c’est plutôt la batteuse de Warpaint Stella Mozgawa, des membres de Beachwood Sparks ou encore le producteur John Agnello… Tous l’ont aidé à mettre en boîte le splendide Wakin on a Pretty Daze fabriqué entre Los Angeles, New York et sa ville, Philadelphie, où il habite dans une petite maison avec sa femme et ses deux filles. Un must.

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