Laurent Raphaël

Womanizer

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La nouvelle devrait réjouir au moins 50% de nos lecteurs -sans déplaire pour autant à l’autre moitié: les femmes s’adjugent de plus en plus de beaux rôles sur le grand écran.

L’édito de Laurent Raphaël

La nouvelle devrait réjouir au moins 50% de nos lecteurs -sans déplaire pour autant à l’autre moitié: les femmes s’adjugent de plus en plus de beaux rôles sur le grand écran. Pas de chiffres estampillés GfK ou Ipsos à exhiber, juste une impression persistante sur la rétine, et des vagues de frissons sur la peau. Une féminisation rampante qui prend des accents divers et variés: juvéniles dans Hunger Games avec Jennifer Lawrence en héroïne rebelle au grand coeur, mélancoliques dans Meek’s Cutoff avec Michelle Williams en pionnière à la croisée des chemins, mythologiques dans Blanche Neige avec Julia Roberts en doublure glamourisée et carnassière de l’original, exotiques dans Indian Palace avec Judi Dench découvrant sur le tard les charmes de l’Inde, ou encore historiques dans Les adieux à la reine avec le tandem de velours Léa Seydoux-Diane Kruger. En attendant Barbara, A perdre la raison (le Lafosse sur l’affaire Lhermitte) ou… Blanche Neige, seconde cuvée de l’année, avec Charlize Theron dans le costume de la croqueuse de pomme. Une Theron qui n’est pas pour rien d’ailleurs dans cette déferlante de chromosomes XX sur la toile, elle qui enchaîne les prestations hors norme à une cadence infernale, à l’image de cette loseuse dépressive traversant la comédie Young Adult.

Puisque le moteur de la créativité audiovisuelle fonctionne désormais sur deux cylindres, cette observation de terrain ne pourrait être qu’une lubie si les séries télé n’étaient pas affectées elles aussi par le même mal délicieux. Pas d’inquiétude de côté-là. Avec les vétérans Desperate Housewives ou Sex and the city, on se demande même si le foyer du virus ne se cache pas dans le tube cathodique… Depuis, ces dames continuent à faire les beaux jours des écrans plats, de Mildred Pierce à Borgen en passant par Girls au rayon frais. Plus que la visibilité, c’est la qualité des personnages confiés aux frangines qui frappe l’imaginaire. Brisant les chaînes des stéréotypes qui leur ont longtemps bridé l’imaginaire -la femme était soit fatale, soit volage, soit au foyer, soit mère soumise, soit appât, soit tout ça à la fois-, elle explore aujourd’hui tous les registres de la psychologie humaine, souvent à rebrousse-poil de ces étiquettes qui lui collaient au soutien-gorge. A part dans le cinéma d’auteur de Bergman, de Cassavetes ou d’Antonioni, il était rare de croiser sur les autoroutes mainstream des soeurs expiant leur détresse pré-apocalyptique (Melancholia) ou une mère rongée par l’absence de sentiments maternels (We need to talk about Kevin avec l’immense Tilda Swinton, autre joker de cette redistribution des cartes).

Plus largement, cette prise de pouvoir entre en résonance avec ce qui se trame aux autres étages de la maison culture (en musique, Beyoncé ou Britney n’ont-elles pas jeté dernièrement de l’huile girl power sur le feu de leurs chansons?) et sème les graines d’une redéfinition de la figure féminine au XXIe siècle. Carrément. Plus visibles, plus diaboliques (derrière cette émancipation plane l’ombre ancestrale de la sorcière), plus polymorphes, plus ambiguës, elles embrasent la fiction et brouillent les genres. Non, les femmes ne viennent pas de Vénus, elles viennent d’une autre galaxie…

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