Laurent Raphaël

The Intouchable

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Bienvenue dans la 4e dimension. Au fin fond de sa chambre tapissée d’affiches de films de Tarantino, un geek cinéphile portant un t-shirt aussi délavé que l’humour qu’il trimballe sur sa poitrine –« Je bande (passante) toujours »– a mis au point un logiciel capable de pondre en 2 clics le scénario le plus bankable (traduction: le plus rentable) du moment. Avec quelques bouts de ficelle -une vague intrigue, 2 ou 3 noms d’acteurs…-, le programme accouche d’une histoire 24 carats sur laquelle Harvey Weinstein et tous les producteurs qui comptent dans le métier se jetteront comme des pies sur un objet brillant.

Imaginons maintenant que le futur Howard Hawks ait soumis les résultats des César et des Oscars à son algorithme infernal. Quel pitch susceptible de réaliser le grand chelem dans les festivals et les cérémonies sortirait du brouillard numérique? Sans surprise, le film, en noir et blanc et pas très bavard, se déroulerait dans l’entre-deux-guerres. Et raconterait la vie d’une ex-star de cinéma réduite à l’état de légume depuis un accident de cheval. Sous le toit de sa maison cossue des beaux quartiers de Los Angeles vivrait également sa femme, une Anglaise au brushing raide comme la justice, qui mène son petit monde à la baguette et ne cache pas ses idées ultra libérales. Un couple englué dans la routine et l’aigreur qui ne partage plus que des souvenirs fanés. Tandis qu’il rumine son glorieux passé depuis son lit ou sa chaise roulante en rêvant de cette actrice qu’il a aimée passionnément quand il tenait encore debout et dont il détaille la fulgurante ascension à son vieux Labrador, elle rêve de tenter sa chance en politique où, selon un vieux briscard proche du gouverneur, elle ferait des étincelles. Voilà pourquoi madame finit par accepter la proposition de sa belle-fille et de son fils, un passionné depuis l’enfance des effets spéciaux dont il a d’ailleurs fait son métier, de prendre à demeure un domestique, noir évidemment, pour s’occuper du père. Et de suggérer le mari de leur bonne, dont ils sont très proches, ce qui a d’ailleurs fait pas mal jaser dans le quartier. Dès son arrivée, ce grand gaillard rustre et jovial qui n’avait jusqu’ici connu que les embrouilles et les privations ne comprend pas pourquoi un homme aussi riche, même handicapé, ne brûle pas la chandelle par les 2 bouts. Avec son style franc du collier, il va donc s’employer à réveiller la sève chez l’acteur déchu, lui redonnant le goût de la vie au fil d’escapades de plus en plus extravagantes. Requinqué par ces expériences, notre héros divorcera, sa femme en profitant pour retourner dans son pays remettre de l’ordre et couper des têtes. Et ce qui devait arriver arriva: il reprendra sa place dans le coeur de sa dulcinée avec la complicité de son chien et de son nouvel ami black.

The Artist, Intouchables, The Iron Lady, La couleur des sentiments, Hugo… Le compte est bon. Le logiciel a juste calé sur Une séparation, trop complexe, trop dense, trop intense pour se laisser démanteler et apprivoiser. Est-ce que cette bouillie scénaristique ferait pour autant le film de l’année? Allô, Thomas Langmann, on pourrait se voir la semaine prochaine, j’ai peut-être quelque chose pour vous…

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