Nadine Gordimer, témoin à charge

Nadine Gordimer © BELGAIMAGE

La romancière sud-africaine Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature 1991 et engagée dans la lutte contre l’apartheid, est morte dimanche à l’âge de 90 ans. Retour sur le parcours d’une grande dame de la littérature.

Cinquante kilos de nerfs. Un poids plume qui pèse très lourd. A cause de ce Nobel qui, en octobre 1991, avait offert à Nadine Gordimer un passeport pour l’éternité: elle s’est retrouvée statufiée, et pourtant toujours aussi modeste quand elle jouait, avec une sobre élégance, son double rôle de romancière et de résistante. Une résistante engagée dans le destin de sa terre natale, cette Afrique du Sud où on l’a copieusement censurée avant qu’elle ne devienne une ambassadrice de l’espoir. Tant que la ségrégation a déchiré sa patrie, Nadine Gordimer n’a cessé de se battre. En militant dans les rangs de l’ANC au côté de Nelson Mandela. Et en décrivant, dans ses romans, l’enfer quotidien d’un pays défiguré par la haine raciale.

Une fois l’apartheid démantelé, cette Mère Courage n’avait pas baissé pavillon. Elle a poursuivi ses croisades fraternelles, lutte pour la paix, pour le désarmement, pour l’éradication de la xénophobie. Et dans ses livres l’auteur de Fille de Burger est restée vigilante: en Afrique du Sud, les vieux démons ont certes été chassés de la scène publique, mais ils rôdaient toujours, en coulisse. Tenaces, sournois, dissimulés au plus profond des mentalités. Alors, comme un gardien de phare, Nadine Gordimer a continué à surveiller l’horizon, en signalant les nouveaux écueils, mais aussi les nouvelles espérances. « Il y a une mine de sujets neufs, expliquait-t-elle, par exemple comment se construit la bourgeoisie noire, comment les Blancs réagissent en voyant des médecins ou des avocats noirs, et comment les gens apprennent à vivre ensemble. » Et d’ajouter: « Le nouveau contexte politique ne peut qu’influencer les personnages de mes romans. Mais leur âme, leur chair, leurs secrets ne se réduisent nullement à ces données, si encourageantes soient-elles. Un écrivain ne peut être vraiment utile qu’en dépassant la réalité socio-économique. Sa mission, c’est d’exprimer des vérités cachées. »

Ce travail de spéléologie, Nadine Gordimer s’en est acquittée avec une maestria remarquable: son oeuvre explore l’étroite frontière qui relie le visible et l’invisible, le privé et le public, les émotions intimes et les turbulences d’une société malade de son passé.

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