Critique | Musique

David Sylvian – A Victim of Stars 1982-2012

AVANT-POP | Une épaisse compilation de 30 années de carrière montre comment la tentation du contemporain et du jazz a dévié l’éphèbe anglais d’un succès pop.

DAVID SYLVIAN, DOUBLE CD A VICTIM OF STARS 1982-2012, DISTRIBUÉ PAR EMI. ***
Ecouter l’album sur Spotify.

La première fois qu’on le croise, c’est vers 1979, avec son groupe Japan, coincé dans un festival punk londonien. Costumes cintrés et coiffures glam jaunes canari/roses boudoir, le décalage de David & Co avec l’époque est flagrant. Il l’est autant en 1983 quand, désormais en solo, Sylvian s’associe à Ryuichi Sakamoto pour le tube mondial Forbidden Colours. Cette chanson magnétique sera son seul véritable moment populaire: le chanteur-compositeur, né en 1958 dans le Kent, va ensuite prestement emprunter un itinéraire musical imprégné de jazz, de no wave, d’ambient et d’électro. A l’écoute du tube en question -en quatrième position sur le premier CD-, c’est d’autant plus frustrant que, même en  » version » hit, Sylvian reste d’une absolue rigueur. L’autre repère constant de ce copieux résumé -32 titres, deux heures et demie de musique-, c’est la voix de Sylvian, un Bowie qui aurait des calculs au rein voire un cousin straight d’Antony Hegarty (A Fire In The Forest). Le larynx est à la fois raide et charnel, bridé et opiacé, s’enfonçant volontiers dans le nougat de morceaux sans fin ni début, instants frigorifiés d’une théâtralité atonale. Ces moments où se fige le tempo laissent la voix discourir sur un squelette de musique, suspendu et catatonique. C’est le cas, entre autres, de Snow White In Appalachia, titre extrait de l’album Manafon (2009), recherche formelle absolutiste qui séduira davantage les ethnomusicologues que les consommateurs de chansons mélodiques. Quoique.

Humidité jazz

Cette compilation qui, malheureusement, occulte la période Japan (trop ado?), provoque sentiments de fascination et d’agacement, ressentis antinomiques qui cohabitent lors de l’écoute du même morceau. La dominante expérimentale y rencontre différentes époques, celle de Rain Tree Crow, Japan privé de son guitariste (1991) ou la collaboration rythmée avec Robert Fripp. Les quatorze albums parcourus ici livrent une volonté contemporaine, jusqu’à la dissolution potentielle du plaisir: l’unique inédit du lot, Where’s Your Gravity?, illustrant assez bien une forme d’impuissance face à l’idiome pop. Dans ce monde sylvianesque, dessiné comme un livre d’architecture zen, le jazz est l’autre élément prépondérant. Il humidifie le rythme, magnifie la voix (I Surrender) et sert aussi de citation vintage lors d’un solo rétro (The Banality Of Evil). Ce confluent de musiques méritait une exposition live, prévue via une large tournée internationale en mars et avril: une blessure au dos a obligé Sylvian à postposer ses performances. Nous laissant davantage de temps pour interroger cet échantillon à la fois brillant et irritant de trois décennies musicales très particulières.

Philippe Cornet

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