Prix de la Critique: nos « Oscars » de la scène…

© Benoît Matterne
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

À coups de fanfare locale, aux Ecuries de Charleroi/Danse, la 60e édition des Prix de la Critique (francophone) Théâtre & Danse a décerné son palmarès de la saison écoulée. Cendrillon de Joël Pommerat, « meilleur spectacle » de l’année, le comédien flamand Josse De Pauw pour l’ensemble de sa carrière, et Pierre Sartenaer, qui en meilleur comédien, aurait pu avoir un second prix, improvisé, pour son discours décoiffant!

« Le Prix du meilleur acteur est un prix qui s’opère par comparaison… À vaincre sans périls, on triomphe sans gloire. Je remercie donc chaleureusement les autres interprètes du spectacle, par ordre chronologique… » La salle est hilare. Invisible sur la scène depuis quelques années, Pierre Sartenaer revient en force, élu meilleur comédien de l’année pour sa prestation kaléidoscopique dans La Estupidez de Rafael Spregelburd, porté par Transquinquennal. Pince sans rire, ce membre fondateur du collectif bruxellois a ébloui la foule d’un discours bien ficelé sur le comédien, le prix et le paradoxe version Diderot. Très à-propos, vrai ou faussement sérieux, il démarre: « Maintenant que je suis convaincu d’avoir été le ‘meilleur acteur’ de la saison dernière, je me permets de donner quelques conseils pour avoir ce prix. Avant tout, il faut jouer. Mais jouer ne suffit pas. La chose la plus essentielle est d’avoir un beau rôle. Il doit donner l’impression que c’est l’acteur qui transcende le rôle, alors que c’est l’inverse… » Un discours « d’anthologie », préparé, réfléchi, écrit. Car ici, sait-on jamais, si on a le prix, va falloir prendre le micro devant la profession, toutes chapelles réunies.

Pensée pour l’Onem

Les Prix de la Critique Théâtre Danse. Ils disent que c’est important, alors on continue… Avec les journalistes francophones spécialisées dans les arts de la scène, on se réunit chaque année, en grands débats passionnés et petites agapes, pour attribuer ces prix totalement symboliques, meilleur spectacle, comédienne, scénographie, espoir, etc. Avec une petite aide de Ministère de la Culture, on organise la fiesta dans un théâtre accueillant, offrant le p’tit verre. À chaque cérémonie, on tangue entre les remerciements du genre et les poings levés des artistes sur leur condition. Apparemment moins « sombres et cyniques », certains artistes ont eu cette année une pensée ironique à leurs « conseillers » Onem ou Actiris qui semblent exiger d’un artiste du travail visible 24h/24, dans un milieu et un art où les propositions prennent du temps à se construire, se font et se défont. La fragilité de l’artiste mis sous pression: on l’oublie quand on les voit sur scène. La coulisse est un champ de bataille, moins glamour.

L’artiste a une profession fragile, « il est essentiel que l’art et la culture soient soutenus par nos pouvoirs publics », disait Patrick Bonté qui a reçu, avec sa complice Nicole Mossoux le prix de la danse pour Migrations.

Autre moment. Les chaleureux applaudissements pour le comédien flamand Josse De Pauw, visiblement ému et surpris de l’accueil francophone, couronné pour l’ensemble de sa carrière du Prix Bernadette Abraté (du nom d’une ancienne journalise, cheville ouvrière du prix). Sonné par les résultats de la NVA, aux élections communales flamandes, il dit: « depuis 24 h, je suis fatigué des discours, je vais vous raconter une anecdote. Dans les années 80, on a joué Radeis au Théâtre 140 dirigé par Jo Dekmine. Il a reçu une lettre des responsables francophones de la Culture s’étonnant de voir une troupe flamande dans un théâtre francophone. Il leur a répondu ‘ne vous inquiétez pas, ils ne parlent pas’. » Radeis étant un spectacle flamand… muet.

En ouverture de cérémonie, Christian Jade (RTBF.be), président de cette ASBL « Prix de la Critique » a épinglé cette scène francophone traversant les frontières. Ainsi, de nombreux spectacles nominés s’exportent mieux –« évidemment pas grâce à nos prix », a-t-il eu soin de préciser. Le signal du promeneur du Raoul collectif (prix meilleur découverte), Mamma Medea (prix de la meilleure comédienne pour Claire Bodson). Mamma Medea de l’auteur flamand Tom Lanoye, mis en scène par Christophe Sermet, en français, par le Rideau de Bruxelles dans une salle flamande de la capitale, au Kriekelaer. Ou encore le « meilleur espoir masculin » à Vincent Hennebicq, comédien français (jouant alternativement en français et en néerlandais) interprétant le premier rôle dans Baal de Bertolt Brecht, mis en scène par la Cie flamande Antigone de Kortrijk; Et que dire du « meilleur spectacle »: Cendrillon du metteur en scène français Joël Pommerat avec une troupe belgo-française. Une création du Théâtre national où cet auteur-metteur en scène est un des prestigieux artistes ne résidence.

Les regrets d’une saison fertile

Les regrets, tout le monde en a. En circulant dans la foule, revenait souvent un pincement au coeur pour les « perdants »: la mise en scène Mamma Medea, le jeune espoir Pierre Verplancken, le spectacle de danse Personne(s), et le spectacle La Estupidez… La saison écoulée fut riche d’excellentes. Ce n’est pas toujours le cas. On aurait voulu utiliser, voire abuser d' »ex-aequo » mais on a préféré aller jusqu’au bout d’un choix, creusant le débat entre les journalistes membres jury. « A vaincre sans périls, on triomphe sans gloire » discourait Pierre Sartenaer, qui, relativisant -à juste titre- l’importance de ces prix, repartit sous le bras avec son humble « diplôme » fabriqué artisanalement par les journalistes eux-mêmes.

Enfin, pas mal des spectacles-lauréats, reviennent cette saison, comme un écho au discours de Myriam Saduis, élue meilleur metteuse en scène de l’année pour La nostalgie de l’avenir. « Les spectacles se créent mais ils vivent assez peu. Il faut tout faire pour qu’ils continuent. »

www.lesprixdelacritique.be

Les prix de la critique théâtre & danse 2011-2012

Spectacle: Cendrillon de Joël Pommerat. En tournée. Théâtre National du 11/10 au 29/12
Mise en scène: Myriam Saduis pour La nostalgie de l’avenir. Théâtre Océan Nord. En tournée prochaine en France.
Comédienne: Claire Bodson dans Mamma Medea. Au théâtre Royal de Namur du 16 au 18/10 et les 29 & 30/11 Next Arts Festival de Tournai.
Comédien: Pierre Sartenaer dans La Estupidez. Les Tanneurs et Théâtre de la Place (Liège). Reprise aux Tanneurs en 2013 (?).
Seul en scène: Le carnaval des ombres de et par Serge Demoulin. Rideau de Bruxelles. En tournée.
Espoir féminin: Aline Mahaux dans La nostalgie de l’avenir. En tournée prochaine en France.
Espoir masculin: Vincent Hennebicq dans Baal, Théâtre National.
Scénographie: Ronald Beurms pour Le tour du monde en 80 jours, repris au Théâtre du Parc du 24 mai au 2 juin 2013. Les bonnes intentions repris au théâtre de Poche du 10 au 24 novembre 2012
Création artistique et technique: Marie Szersnovicz, scénographie et costumes de La Estupidez. Reprise aux Tanneurs en 2013 (?).
Auteur belge: Cathy Min Jung pour Les bonnes intentions aux éditions Hayez-Lansman. Repris au Théâtre de Poche du 10 au 24 novembre 2012.
Découverte: Le signal du promeneur du Raoul Collectif. En tournée. Au Théâtre National du 31 janvier au 9 févier 2013.
Spectacle de danse: Migrations de la Cie Mossoux-Bonté. En tournée en France.
Théâtre Jeune Public: Un petit soldat de plomb de la Cie Arts et Couleurs. En tournée, dans de nombreux centres culturels (novembre: Famenne-Ardenne et à Saint Ghislain).
Prix Bernadette Abraté: Josse De Pauw

Le jury est composé de Michèle Friche (Le Vif/L’Express, Le Soir), présidente du jury, Christian Jade (RTBF.be), président de l’ASBL, Nurten Aka (Focus Vif, Agenda BDW, Radio Campus), Marie Baudet (La Libre Belgique), Laurence Bertels (La Libre Belgique), David Courier (Télé-Bruxelles), Adrienne Nizet (Le Soir), Catherine Makereel (Le Soir, Radio Campus), Camille de Marcilly (La Libre Belgique), Dominique Mussche (Musiq’3- RTBF Radio).

La 60e cérémonie des Prix de la Critique s’est déroulée lundi soir aux Ecuries de Charleroi/Danses.

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