« Les Rustres » : guerre des sexes aux Martyrs

© Philippe Fontaine
Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif/L'Express

Femmes rusées contre maris misogynes : c’est l’affrontement jubilatoire que propose le théâtre de la place des Martyrs, à Bruxelles. On y joue  » Les Rustres « , le chef d’oeuvre de Goldoni, avec un Bernard Marbaix plus vrai que nature dans le rôle d’un barbon râleur et macho à souhait.

L’affiche du spectacle, plutôt ratée, ne doit pas troubler les amateurs de divertissements savoureux.  » Les Rustres « , le chef d’oeuvre de Carlo Goldoni, joué jusqu’au 30 mars au théâtre de la place des Martyrs, à Bruxelles, est un morceau d’anthologie qui n’a rien perdu de son potentiel comique et contestataire. Si la scénographie, le décor et les costumes manquent un peu d’originalité, le texte, lui, n’a pas pris une ride depuis la création de la pièce, en 1760 ; et le jeu pétillant des acteurs – la troupe du Théâtre en liberté – est un pur régal.

Venise, au XVIIIe siècle. Ou plutôt dans les années 1960, dans la version de Daniel Scahaise, le metteur en scène, pour qui  » le contexte historique s’efface devant la légèreté de la farce « . Tandis qu’au dehors la folie du carnaval bat son plein, une guerre des sexes oppose une coalition féminine improvisée, ingénue et rebelle à un quarteron de maris hargneux, grotesques et misogynes. Parmi eux se distingue Lunardo, barbon râleur, tyrannique et avare – l’excellent Bernard Marbaix, qui colle instinctivement au rôle -, résolu à marier sa fille au fils d’un de ses amis. Il refuse toutefois que les fiancés se rencontrent avant la cérémonie. Son épouse s’en mêle et, aidée par d’autres comploteuses, contrarie les plans du  » padre di famiglia « .
L’intrigue, un bras de fer autour d’un mariage arrangé, est classique, voire surannée, et la pièce démarre piano. Mais tout s’emballe quand les rustres imbus de leur pouvoir patriarcal et conjugal affrontent les femmes, finaudes et éprises de liberté. Sans cesse en mouvement, les dix acteurs s’en donnent à coeur joie (Scahaise leur a demandé de jouer sur un rythme soutenu). Parmi eux, on retrouve avec plaisir Hélène Theunissen, chef de file de la rébellion féminine.

Pièce féministe,  » Les Rustres  » ? Pas si simple. Goldoni montre des femmes qui passent leur temps en bavardages, futilités et mascarades imprudentes. Hypocrites, belle-mère et belle-fille alternent solidarité de sexe et petites trahisons. Deux thèmes goldoniens sont sous-jacents : la maison, fondement de l’ordre moral et social, espace privé soumis au père, qui tente d’y cloîtrer sa femme et sa fille ; et le repas, auquel sont conviés, dès le début de l’histoire, les compères de Lunardo.  » C’est avec ce repas intime, qui a lieu à l’intérieur de la maison, que s’achève la comédie, ce qui rend la pièce de Goldoni plus ambiguë qu’on ne le dit « , remarque Scahaise. Quand le rideau tombe, est-ce vraiment la liberté féminine qui a triomphé ?

Les Rustres, de Carlo Goldoni, jusqu’au 30 mars au Théâtre de la place des Martyrs, à Bruxelles. Infos et réservations : www.theatredesmartyrs.be, 02 223 32 08.

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