Le Moussem, brèche nécessaire dans l’hégémonie artistique occidentale

Grâce à Moussem, Other Places, spectacle de Bashar Murkus réunissant une vingtaine de Palestiniens vivant dans différentes parties du monde, est présenté en Belgique. © DR
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Centre Nomade des Arts, Moussem programme des artistes contemporains au background « arabe » dans des lieux pointus à Bruxelles. En février, Casablanca s’invite en festival pluridisciplinaire.

Cette saison, on les a vus soutenir la 2e édition de l’Arab Cartoon Festival, faire salle comble avec la Sufi Night et le concert de Souad Massi ou encore réunir des écrivains arabes racontant leur Belgique dans Ceci n’est pas une valise. Ce mois-ci, Moussem organise un festival autour de Casablanca et fait tourner le spectacle palestinien Other Places de Bashar Murkus. En mars, dans le cadre d’un focus sur la musique classique arabe dite « Tarab », à Bozar, on découvrira le compositeur Zad Moultaka avec La Passion d’Adonis, célèbre poète syrien, ainsi que NOON, aux Brigittines, du jeune chorégraphe formé à P.A.R.T.S. Youness Khoukhou. En avril, toujours à Bozar, Anouar Brahem, joueur d’oud et de jazz, présentera son nouveau projet Blue Maqams… Tous ces artistes ont en commun un Orient-Occident, la signature de Moussem dont l’objectif audacieux est d’ « interroger le canon artistique dominant et d’engager une réflexion sur les effets de mondialisation suscités par les courants migratoires anciens et récents, en privilégiantles artistes ayant un lien avec le monde arabe. »

Refuser la case « interculturelle »

Ce Centre Nomade des Arts a réussi un pari risqué: ne pas avoir de lieu propre mais plutôt faire bouger les lignes des programmations contemporaines classiques en coproduisant dans des lieux culturels pointus. Un chemin qui vient de loin, orchestré par son directeur Mohamed Ikoubaân. « En arrivant ici, j’étais confronté au discours d’un racisme primitif -« Tous les Marocains/Turcs sont… « . L’art parle plus qu’un discours politique. Lorsque j’ai commencé à lire des auteurs flamands, d’Hugo Claus à Tom Lanoye, j’ai compris « l’âme flamande ». J’ai donc commencé à organiser, dès 1996, des rencontres culturelles dans un cadre associatif. En 2001, on s’est inscrits en tant que Centre d’Arts car, pour influencer la scène artistique, il fallait sortir du socioculturel et viser les politiques artistiques. On parle de « canons » artistiques, de « répertoire » de théâtre, des « collections » des musées. Ça construit le patrimoine d’une communauté. Or, à l’époque, l’Autre, l’immigré, était absent de ce patrimoine. Aujourd’hui, un peu moins. Être un « Centre Nomade des Arts » est un choix délibéré de ne pas être casé dans un lieu spécifique ‘interculturel’. »

Moussem a eu une stratégie visionnaire et pertinente bien qu’il ne soit pas toujours visible du grand public, bien qu’une étiquette « arabe » colle aux artistes. « L’étiquette ethnique et géographique dérange chaque artiste!, poursuit Mohamed Ikoubaân . Le monde est ainsi fait. Autre travers: que ces artistes soient représentatifs d’une communauté, d’une culture. On essaye d’échapper à cela. Par exemple, je ne me vois pas produire une création directement axée sur le djihad. De plus, le fait que nos artistes soient mélangés dans la programmation d’autres lieux, avec d’autres artistes, permet d’atténuer les étiquettes. Toutefois, on se le permet lors de festivals thématiques parce qu’il y toujours un besoin de comprendre le monde de l’autre. »

Subventionné par la Communauté flamande, Moussem (« fête » en berbère) reste une aventure singulière qui a permis, entre autres, d’élargir le regard des programmateurs et d’offrir une réelle offre artistique diversifiée pour les spectateurs. Bémol: sa quasi inexistence sur la scène francophone. « Depuis plus de deux ans, nous sommes installés à Bruxelles où l’on rencontre la scène francophone. La Fédération Wallonie-Bruxelles célèbre le Maroc en 2018. On proposera un répertoire marocain avec La Charge du rhinocéros. On dialogue avec le Théâtre national pour la saison prochaine. Je ne suis pas dans une approche identitaire, cela restera toujours une approche artistique contemporaine avant tout. »

Moussem Cities: Casablanca

Folkah!
Folkah!© Ahlam

Après Tunis, puis Beyrouth et avant une édition (qui s’annonce difficile) sur Damas, capitale d’une Syrie en guerre, Moussem a posé son regard sur la ville marocaine de Casablanca.« On a choisi Casablanca plutôt qu’une ville « carte postale » comme Fès ou Marrakech. Casa est le ventre du Maroc avec beaucoup de contradictions entre modernité et tradition. Dirigée par les conservateurs islamiques, c’est la ville du Maroc où les femmes se font le plus harceler, où elles sont les plus émancipées (célibataires, ayant un travail…), avec les plus grands cabarets et les bars! » On découvrira un Kabaret Chikhats d’hommes travestis en femmes reprenant la tradition des chikhats, ces chanteuses-danseuses-musiciennes affranchies qui boivent et fument parmi les hommes, cataloguées de… « petite vertu ». Ma ville m’a tuer: performance d’Asmaa Houri sur des récits intimes faits « de rencontres mystiques et de disputes qui dégénèrent ». Folkah! de la chorégraphe Meryem Jazouli explorant la gestuelle d’une danse traditionnelle du Sahara. Attendu aussi Razzia, le nouveau film du réalisateur du sulfureux Much Loved, Nabil Ayouch. Un chassé-croisé de personnages au coeur de Casablanca. Quelques expos, Raw Poetry et Loading… Casa présenteront les oeuvres d’artistes jeunes comme Randa Maroufi, Hicham Lasri, Anna Raimondo et d’artistes confirmés comme Hassan Darsi avec sa nouvelle installation de noir et d’or, Les Réparateurs du ciel. En littérature: rencontre avec Réda Dalil (Le Job,Best-Seller) et Youssef Fadel (La Guerre, Haschish). Côté musique: du Casa populaire avec Khadija El Bidaouia & Abderrahim Souiri aux rythmes du chaâbi (blues marocain) et les déjantés de Hoba Hoba Spirit, sorte de Mano Negra marocain…

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