Kunstenfestivaldesarts, mélodies en sous-sol

Une des héroines de La Nuit des taupes de Philippe Quesne, invité du Kunstenfestivaldesarts. © Martin Argyroglo
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Toujours aussi multidisciplinaire et international, le Kunstenfestivaldesarts bruxellois porte un regard élargi sur la création contemporaine. Il s’articule cette année autour de spectacles qui creusent le thème des origines, avec notamment le Français Philippe Quesne, et de créations en prise sur les technologies modernes.

Swamp Club, le dernier spectacle de Philippe Quesne, mettait en scène un centre d’art perdu au milieu des marais, dont l’équipe était au final sauvée d’une menace imminente par une taupe géante emmenant les hommes dans les profondeurs. Rebondissant comme à son habitude sur une création pour mettre au monde la suivante, le metteur en scène a décidé de s’intéresser d’encore plus près au petit mammifère. La Nuit des taupes, qui sera créé en ouverture du Kunstenfestivaldesarts (du 6 au 9 mai), réunit sur scène sept spécimens de l’animal fouisseur. « Ces sept taupes grognent, communiquent entre elles, chantent et font beaucoup de musique dans une sorte de monde festif qu’elles développent dans les sous-sols, précise-t-il. J’avais envie que le spectacle baigne dans une atmos-phère musicale assez sombre, de rock, de guitare. Un des interprètes joue du thérémine, un instrument électronique qui fonctionne avec les ondes. C’était intéressant d’explorer ça avec les taupes. »

Presque aveugle et compensant donc avec ses autres sens, constamment à la recherche d’un territoire, hémophile et par conséquent très fragile, considérée comme nuisible parce qu’elle perturbe les surfaces planes et régulières, la taupe est clairement pour le metteur en scène une métaphore de l’artiste. « C’est une créature extrasensible, mais aussi un animal qui travaille la matière, qui extrait, qui réalise ses petits monticules comme autant de sculptures. » Philippe Quesne, codirecteur du centre dramatique national Nanterre-Amandiers depuis 2014, est plasticien de formation. Avec La Nuit des taupes, il réalise concrètement aujourd’hui le programme contenu dans le nom de sa compagnie fondée en 2003, Vivarium Studio: laisser des animaux s’emparer de la scène. « Je crois tellement au théâtre que je pense qu’on peut faire des spectacles avec des humains, bien sûr, mais aussi avec des animaux, des insectes, des plantes. Je crois à un théâtre « écosophique » qui donne naturellement une valeur aux humains, mais qui peut être aussi un théâtre de sons, de matières, de bruits… Depuis La Mélancolie des dragons (NDLR: en 2008), je crée des spectacles comme des parcs d’attractions. Mon travail repose sur cette utopie: proposer des mondes possibles, même s’ils sont faits de carton, de machine à bulles, de fumée, de sacs qui se gonflent. Il y a toujours des gens qui y croient, qui ont la foi dans l’art. J’en use comme d’un thème. »

En plus de ce spectacle, Philippe Quesne déploie pour le Kunstenfestivaldesarts le projet Welcome to Caveland! (du 19 au 28 mai): une grotte gonflable installée aux Brigittines (le QG du festival) et qui va accueillir une série d’artistes en résidence d’un jour, des projections de films, une journée pour les enfants (le 22 mai), un concert de l’Ensemble Ictus, des lectures… Cette caverne factice renferme de nombreuses références pour Philippe Quesne, et pas seulement le fameux mythe utilisé par Platon pour expliquer sa théorie des Idées. « Des hommes préhistoriques aux abris antiatomiques, le sous-sol nourrit de nombreux fantasmes, commente le plasticien. C’est un lieu de protection, de résistance, le lieu où l’on archive des documents pour le futur, où l’on circule à travers des réseaux souterrains et en même temps, c’est un endroit méconnu de la planète. Il y a peut-être une quête des sous-sols à mener. Notre fragile croûte terrestre connaît des problèmes de territoire, des questions terribles de frontières et de flux migratoires. Il serait peut-être bon de se replonger dans quelque chose de plus ancien pour comprendre comment habiter cette planète. »

Five Easy Pieces, de Milo Rau, revient sur l'affaire Dutroux et sera interprété par des enfants de 8 à 13 ans.
Five Easy Pieces, de Milo Rau, revient sur l’affaire Dutroux et sera interprété par des enfants de 8 à 13 ans.© Phile Deprez

De nombreuses autres propositions du Kunstenfestivaldesarts font écho à ce besoin de retour aux fondamentaux, qui imprègne l’oeuvre de l’invité d’honneur Apichatpong Weerasethakul. Dans Natten (13 et 14 mai), le chorégraphe et essayiste suédois Marten Spanberg invitera les spectateurs à se plonger dans l’obscurité de la nuit en compagnie de huit performeurs. Taoufiq Izeddiou, un des acteurs majeurs du développement de la danse contemporaine au Maroc, reviendra dans En alerte (du 7 au 10 mai) à une cérémonie soufie qui a marqué son enfance. L’Egyptien Wael Shawky clôture avec The Secrets of Karbala (6 et 8 mai), sa trilogie sur les croisades, dans un théâtre de marionnettes en verre soufflé. Takao Kawaguchi tentera de copier fidèlement mais superficiellement Kazuo Ohno, grand maître du butoh, forme de danse japonaise née dans les années 1960 (du 14 au 19 mai). Milo Rau reviendra, quant à lui, à un passé plus récent mais traumatique: le cauchemar que Marc Dutroux a fait vivre à la Belgique dans les années 1990. Five Easy Pieces (du 14 au 22 mai) aura la particularité d’être interprété par des enfants entre 8 et 13 ans.

Monde de pixels

Comme toujours au Kunsten, ces formes de rewind plus ou moins prolongé seront contrebalancées par des propositions totalement en prise sur la modernité, voire branchées sur l’avenir. A commencer par Web of Trust (du 6 au 15 mai), d’Edit Kaldor: un spectacle où les intervenants sont présents virtuellement, disséminés aux quatre coins du monde mais connectés grâce à Internet. C’est également un monde de pixels que donnera à voir la Sud-Coréenne Jisun Kim dans Climax of the Next Scene (du 7 au 9 mai), un triptyque à base de jeux vidéo existants. De son côté, le collectif barcelonais El Conde de Torrefiel mettra en scène dans Guerrilla (du 18 au 22 mai) de jeunes Européens qui s’adonnent à des activités collectives en apparence innocentes tout en projetant en surtitre leurs pensées inavouables… Le Kunsten cultive son éclectisme et y ajoute de la profondeur, au sens propre et figuré.

Kunstenfestivaldesarts, du 6 au 28 mai, divers lieux à Bruxelles. www.kfda.be

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